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dimanche 19 mai 2024
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L’artiste invisuel comme citoyen expérimental – partie 2

Perturbons

Gilbert Coqalane(2) est l’un de ces artistes qui s’affranchit coûte que coûte des institutions. Il est l’initiateur du mouvement perturbationiste. Il définit la perturbation « comme un langage artistique qui perturbe la réalité d’un espace public, ou la perception de ses utilisateurs ». Un ensemble d’offensives constituent une perturbation. Gilbert Coqalane se réapproprie l’espace public, se réclamant de ce courant perturbationiste. Inauguré à Nancy le premier novembre 2021, le perturbationisme est le premier mouvement d’art invisuel dans l’histoire.
L’artiste s’entoure de militants écologistes et de personnes issues du milieu du droit au sein du CDRAO (3)(Centre de Documentation, Recherche, Application des Offensives) qu’il a fondé en 2021. Le CDRAO est un lieu permettant de créer, développer et faire la promotion de la perturbation et de l’offensive comme une action artistique. Bien loin des lieux artistiques conventionnels, il a toujours pratiqué son art dans l’espace public. Les actions coup de poing qu’il mène, sont des offensives pour faire réagir l’opinion publique sur des causes socialeset environnementales souvent délaissées : « On crée des perturbations pour faire réagir mais aussi préparer les citoyens. Personne n’aime ça mais elles sont nécessaires. Si les citoyens ne s’y préparent pas convenablement, les dominants peuvent mieux les contrôler. On le voit pour certaines manifestations où ils peuvent être muselés ». Tout devient matière au détournement au CDRAO : le quart d’heure de célébrité d’Andy Warhol se transforme en quart d’heure de solidarité. « Perturbationiste » n’a plus deux n comme le terme original pour que le travail solidaire ne s’y exprime dans « aucune haine »

Offensive Retourne ta rue – Gilbert Coqalane et Nathalie Sejean – Ronchin, mai 2022 – Crédit CDRAO
Offensive Écocide – Gilbert Coqalane et des policiers avant sa garde à vue – Essey les Nancy, juillet 2020 –
Crédit CDRAO

Gilbert revient sur ses actions les plus marquantes où il a visé d’une flèche, arc vissé sur son épaule, un bison en plastique pour dénoncer l’écocide contre les animaux d’élevage dans un Buffalo Grill. Après cette offensive, l’artiste est placé par la police en garde à vue. Quelle ne fut pas sa révolte quant à l’idée qu’un bison en plastique compte manifestement plus et ait plus de droits que de vrais animaux.
Le CDRAO ne s’arrête pas là quand certains membres, lors de l’offensive « il va mourir », ont ciblé le Leclerc de Vandoeuvre où les crabes avaient leurs tendons coupés. En octobre 2022, les Perturbationistes délivrent Michelle, un crabe vivant du rayon poissonnerie et l’embarque alors à destination de Landernau pour le libérer dans l’océan. Cette pratique des tendons coupés fait écho à la souffrance animale, ce que les perturbationistes ont
voulu dénoncer en volant ce crabe exposé. Récemment en Lorraine, leurs actions ont eu leur effet. C’est le cas dans le Leclerc de Frouard, où des crabes auparavant exposés ne le sont plus. Même si beaucoup de perturbations du quotidien passent inaperçues, Gilbert insiste aussi sur leur nécessité.

Michelle a été libérée de son vivier captif dans un rayon E. Leclerc par le collectif des « perturbationistes ». Post
de Mr Mondialisation
Michelle a été libérée de son vivier captif dans un rayon E. Leclerc par le collectif des « perturbationistes ». Post
de Mr Mondialisation

Être l’artiste de sa propre vie

Mariem Memmi (4) se revendique comme un artiste citoyenne expérimentale. C’est en expérimentant continuellement qu’elle peut remettre en question sa réalité, celle des autres et éveiller l’esprit critique : « L’art fait partie intégrante de la citoyenneté. J’ai découvert dans l’art invisuel des réponses a une multitude de questions que je ne trouvais pas ailleurs. L’art invisuel est un art liquide, mouvant, à l’image de mon approche artistique qui n’est jamais finie et qui interroge le concept de citoyenneté. En tant qu’artiste, je m’intègre dans une conception globale de la vie comme le ferait un citoyen du monde. Je cherche à m’exprimer dans le concret en étant actrice et artiste de ma propre vie. L’art invisuel est le meilleur langage pour s’ouvrir au monde, pour voir et faire autrement » répond-t-elle. Directrice de l’École européenne pour l’intégration des migrants par l’art (l’EEIMA)5, qu’elle a fondée à Bruxelles en 2022, Mariem Memni s’engage en faveur de l’émancipation des migrants : « En créant cette école, je voulais montrer la migration autrement que sous un angle péjoratif. »

Mariem Memni au Parlement Européen de Bruxelles avec Nicole Nketo Bomele, députée francophone
bruxelloise.

Mariem développe le chata, qu’elle a inventé comme une pratique invisuelle pouvant se définir comme un «processus de conversion de l’énergie négative vers l’énergie positive pour garantir l’harmonie au sein d’un groupe ».

Mariem Memni, Directrice de l’École européenne pour l’intégration des migrants par l’art (EEIMA)

Le migrant n’est pas un problème : c’est une solution

L’EEIMA change la perception de la migration en rendant l’art accessible à tous pour qu’il ne soit plus discriminant et destiné à une élite ou à des publics privilégiés. Mariem considère la vie dans son ensemble comme un processus artistique. Elle déconstruit le modèle hiérarchique élitiste propre à l’art visuel et relève le pari de mettre des migrants au même rang que les artistes. Dans cette vision des choses, un migrant est une personne qui vit dans un espace nouveau et qui doit composer avec l’inconnu, tout comme l’artiste invisuel
expérimente et creuse des nouveaux chemins.


Être citoyen n’est pas le fait de posséder un passeport. Cela ne suffit pas. Le citoyen du XXIe siècle devrait devenir un être humain singulier, capable de penser et d’agir par lui-même, incontrôlable par des instances extérieures de plus en plus oppressantes. Libéré de l’objet d’art comme intermédiaire entre l’art et le réel, l’art invisuel permet de dissoudre les barrières entre profession et vie. Inventer sa forme d’art en lui donnant une place à part dans la société, c’est inventer sa vie. Si l’art invisuel permet de s’individuer, il permet aussi de se désindividualiser. Et c’est justement ce qui fait société : un art qui soude les habitants d’un même pays, et au-delà.

Grace à des pratiques non conformistes et audacieuses, des artistes invisuels comme Gary Bigot, Gilbert Coqalane et Mariem Memni, agissent au cœur de la société en adoptant une approche égalitaire et en valorisant la création émancipatrice. Ils brisent les schémas établis et démontrent que l’expérimentation artistique transcende les limites sociales, s’offrant par là une liberté essentielle pour s’exprimer pleinement en tant qu’être humain et artiste. L’art invisuel devient un moyen puissant de vivre sa citoyenneté, au plus profond de son être authentique. L’artiste citoyen expérimentateur peut alors perturber les perceptions, remettre en question les idéologies et ainsi éveiller l’esprit critique des citoyens.

(2) Artiste urbain invisuel, titulaire d’un DNREA (Diplôme national de recherche et d’expérimentation en art) de
l'ENDA (École nationale d’art de Paris), Président des éditions L’Armée Recrute, membre du Conseil
d’Administration de la Fédération de l’Art Urbain et intervenant scolaire.
(3)www.cdrao.fr
(4)Artiste invisuelle et Directrice de l'École européenne pour l'intégration des migrants par l'art (EEIMA) basée à
Bruxelles. Elle est titulaire d’un Master de l’ISBAS (Institut Supérieur des Beaux-Arts de Sousse) et d’un DNREA
de l'ENDA, première école dédiée intégralement à la recherche artistique.
(5) L’EEIMA est basée sur le fait que l’art invisuel peut être non pas un facteur d’intégration mais plutôt d’émancipation pour les migrants

Par Audrey Poussines

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