La Bourse de Commerce – Pinault Collection présente “Une seconde d’éternité” pendant tout l’été. Emma Lavigne, commissaire de l’exposition, interroge les différentes facettes du temps aux prises avec le sensible. Elle rassemble les œuvres de vingt artistes, de l’Américain Felix Gonzalez-Torres, à la peintre suisse Miriam Cahn, en passant par le photographe allemand Wolfgang Tillmans.
Contempler ou affronter l’instant ?
“[Le temps] est une pure matière sensible. Ou plutôt, c’est le seuil qui montre que toute matière est une immense étendue de sensations présentes passées et futures” affirme le philosophe Emanuele Coccia au sujet de l’exposition “Une seconde d’éternité”. Présentées à la Bourse de Commerce – Pinault Collection, les œuvres de vingt artistes invitent tantôt à contempler l’instant, tantôt à l’affronter. À travers les deux horloges côte à côte d’”Untitled (Perfect Lovers)”, l’artiste conceptuel Felix Gonzalez-Torres interroge sa synchronisation temporelle avec son compagnon, Ross Laycock, atteint du VIH. La photographie prise à Sète de Gustave Le Gray, intitulée “Grande vague”, fige un instant fugace et incite à la contemplation du paysage marin. Le temps s’imprime sur le papier…
Se laisser hanter par le temps
Au-delà d’un face à face avec le temps, l’exposition “Une seconde d’éternité” nous enjoint à ne pas séparer le temps, souvent considéré comme une simple succession d’événements chronologiques, du vécu sensible. Cheminement sinueux, le temps de la vie est hanté par les événements du passé, et les projections du futur. Ce lien intime du temps à la figure du spectre est exploré par Liz Deschenes, représentante de la photographie post-conceptuelle. À travers le photogramme tel un miroir “Shift / Rise #1”, elle capte le reflet du spectateur ou de la spectatrice. Il ou elle devient une apparition fuyante, tandis que la peinture “Mare Nostrum, 2008 + 27.6.17” de la Suisse Miriam Cahn représente deux êtres spectraux s’enfonçant vers les profondeurs bleues. Elle évoque les morts en Méditerranée, conséquences des politiques migratoires européennes répressives : le temps de la vie des uns est celui de la mort des autres. Enfin, dans la vidéo “Marilyn”, le plasticien Philippe Parreno invite le spectateur et la spectatrice dans la chambre de l’hôtel Waldorf-Astoria, que Marilyn Monroe occupe vers la fin des années 1950. Cette image se révèle être une reconstitution, créée à l’aide de l’intelligence artificielle : le portrait d’un fantôme.
Dédale du temps, dédale des identités
La plasticité du vécu du temps résonne avec celles des identités. Pour Robi Horn, artiste et écrivaine américaine, “nous sommes un reflet d’eau”, liquides, fluides, multiples et fugitifs. Dans la galerie 2 de la Bourse de Commerce – Collection Pinault, se déploie notamment l’œuvre “a.k.a. (2008-2009)” de Roni Horn. Trente portraits photographiques de l’artiste sont montrés par paire : à chaque photo de l’artiste, enfant ou adolescente, répond une image d’elle à l’âge adulte. Au dédale du temps, répond le labyrinthe des identités. L’artiste afro-américaine Carrie Mae Weems présente dans “Repeating the Obvious” une impression numérique sous différents formats d’un jeune homme noir vêtu d’un sweatshirt à capuche. La répétition du spectre évanescent évoque les mobilisations du mouvement Black Lives Matter et tente de subvertir l’iconographie, stéréotypée et raciste, du jeune afro-americain : celle qui ignore la diversité et la complexité des expériences noires. L’exposition “Une seconde d’éternité”, définitivement polyphonique, nous invite ainsi à considérer différentes manières de symboliser – voire de matérialiser – le temps par l’art.