Créé en 2016, le format de police variable permet de modifier une fonte selon plusieurs axes, comme celui de la graisse ou encore de la chasse. Adopté par certain·es typographes et fonderies, comme Blaze Type, il offre plus de liberté à l’utilisateur de police, notamment en termes de Responsive Design. Le fondateur de Blaze Type, Matthieu Salvaggio, éclaire les défis techniques et les potentiels d’usage de cette nouvelle technologie.
Du statique au variable
Apparu en 2016 et résultat d’un travail commun d’Adobe, Apple, Google et Microsoft, le format Variable Fonts, autrement appelé OpenType Font Variations, soulève un intérêt croissant. Il inclut, à l’inverse des typographies statiques, un seul jeu de dessins de références, ainsi que de nombreuses informations permettant de créer des variantes. Ainsi, à la place d’avoir plusieurs fichiers pour une même famille correspondant à ses différents styles, la technologie des variables permet de n’en avoir qu’un. Il existe, pour l’instant, cinq axes dits classiques et déclarés : la chasse, la graisse, l’oblique, l’italique et la taille optique, mais tout typographe peut prévoir d’autres axes, dits personnalisés, en plus de ceux-ci. Distribuée par la fonderie indépendante Blaze Type, la police variable Sigurd permet par exemple de jouer avec l’axe oblique. L’Area dispose quant à lui d’un axe personnalisé “INKNT”, donnant la possibilité d’ajouter, de manière plus ou moins prononcée, des pièges à encre aux lettres.
En principe, une police variable peut avoir jusqu’à 65 535 axes, auxquels correspond un espace de conception très vaste. Celui-ci est l’étendue de “toutes les variations potentielles entre les extrêmes définis d’un ensemble” selon la professeure de typographie Indra Kupferschmid. La technologie des variables est dérivée, tout en la dépassant, des Multiple Masters introduits en 1992 par Adobe. Ils permettaient d’interpoler selon différents axes deux ou plusieurs jeux dessins de références.
Vers une plus grande liberté de choix ?
Pour le typographe Matthieu Salvaggio, le format des variables offre “la plus grande liberté possible à l’utilisateur de la police”. Matthieu Salvaggio fonde en 2016 sa propre fonderie, Blaze Type, et commence à distribuer dès le départ des polices en statique et en variable, alors même que ce second format en est encore à ses débuts à l’époque. Si les logiciels et navigateurs ne supportent pas cette technologie à son lancement, ils l’intègrent petit à petit. “Blaze Type a pour objectif d’offrir le plus de choix possibles aux designers. Nos familles sont composées de nombreux styles, incluant des glyphes, des alternates, etc. Développer des variables s’inscrit dans cet esprit” ajoute le fondateur qui a notamment donné une conférence au sujet des variables lors d’Adobe Max 2022.
“En tant que typographes, nous définissons différents styles dans une même famille. En ce qui concerne l’axe de la graisse, nous prévoyons par exemple un light, un regular, un bold, un extra-bold, etc. Mais un·e designer utilisant une variable peut choisir une graisse alternative, pouvant par exemple se situer entre le light et le regular. Grâce au format variable, les valeurs mathématiques correspondant à cette instance existent, et le designer dispose ainsi d’une plus grande latitude” affirme Matthieu Salvaggio. “Mais ce n’est pas, parce qu’un·e designer dispose de beaucoup de possibilités de variations, qu’il va toutes les exploiter. Avoir plus de possibilités, c’est avoir le choix : gagner en précision” ajoute-t-il.
Les variables : du défi technique aux potentiels d’usages
Les typographies variables constituent avant tout un défi technique. “Pour dessiner une police variable, il faut que chaque lettre dispose du même nombre de points, afin de permettre l’interpolation” précise Matthieu Salvaggio. Au-delà du dessin, la maîtrise de l’ingénierie logicielle est la seconde difficulté, à l’export du fichier de la police afin qu’il soit fonctionnel. Matthieu Salvaggio aspire à ce que de plus en plus de logiciels prennent en charge le format variable — ce n’est pas le cas de tous. Il espère aussi que la demande se développe, designers et clients restant frileux (cf. é: 269, article de Clara Debailly). Du côté des concepteurs et distributeurs, fixer un prix pour une police variable demande réflexion. “Pour l’instant, nous vendons une police variable au même prix qu’une famille complète et un client achetant une famille complète en formats statiques se voit offrir le fichier de la variable correspondante” affirme Matthieu Salvaggio.
Les variables recèlent de nombreux potentiels. Idéal pour le digital, le format permet aux développeurs de faciliter le Responsive Design et de réduire le temps de chargement d’un site. “Grâce au code CSS, il est possible d’automatiser des variations, comme sur l’axe optique, en fonction notamment de la taille de l’écran sur lequel s’affiche le site internet”. Le format variable offre aussi de nouvelles possibilités pour les logotypes. “Pour fix.studio, nous avons développé un logotype sous forme variable avec un axe optique, en plus d’une version micro, texte et de titrage. Cela permet de garantir la lisibilité du logotype, quelle que soit sa taille” affirme Matthieu Salvaggio de Blaze Type. Pour les designers développant des vocabulaires graphiques de formes et motifs à destination d’identités visuelles, une variable pourrait permettre de contenir tous ces éléments rassemblés en un fichier et ajustables selon les axes prévus. Le typographe souhaite à présent que le potentiel des variables en termes d’animation puisse se développer.