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jeudi 21 novembre 2024
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Louise Comiran, peintre en lettres

Appréciée pour son aspect fait-main, la peinture en lettres est toujours pratiquée, malgré la numérisation croissante des techniques de création. Installée à Lille, Louise Comiran est graphiste et peintre en lettres. Formée à la typographie à l’École Estienne, elle se rend à Londres pour apprendre la peinture en lettres auprès de Ged Palmer. Rencontre, avec celle, qui parmi d’autres, continue de faire vivre cette technique ancienne artisanale.

Lettrage Toboggan de Louise Comiran pour lexposition Mots voyageurs à la Condition Publique à Roubaix

Isaline Dupond Jacquemart : Pouvez-vous vous présenter ?

Louise Comiran : Je suis graphiste et j’ai suivi une formation en typographie à l’École Estienne. J’ai un attachement fort à la lettre. Après avoir travaillé dans un studio de graphisme en tant que salariée, je me suis formée à la peinture en lettres. Aujourd’hui, je suis peintre en lettres, basée à Lille et je continue de mener des projets de graphisme en parallèle. Je suis aussi professeur de typographie à l’école MJM et donne différents workshops. 

IDJ : Comment en êtes-vous venue à la peinture en lettres ? 

LC : J’ai assisté à une conférence d’Alaric Garnier au Printemps de la typographie qui m’a beaucoup inspirée. Alaric Garnier partageait s’être formé à la peinture en lettres à San Francisco, auprès de Sean Barton. À l’École Estienne, j’ai notamment pratiqué la calligraphie et j’avais le sentiment que les techniques manuelles manquaient dans mon travail de graphiste. Quelques années après, je suis allée à Londres, et ai suivi un apprentissage de deux mois en peinture en lettres après de Ged Palmer qui a fondé The Luminor Sign Company. Je me suis aussi rendue à Hanovre en Allemagne chez Marc Alsina, qui a créé Letter Marc. Peintre en lettres aujourd’hui, il est charpentier de formation. Nous avons pu échanger un certain nombre de connaissances. Puis, je me suis installée à Lille en tant que peintre en lettres. Je travaille parfois avec Maks Signs, peintre en lettres déjà installé dans cette ville et je continue à apprendre auprès de lui. 

IDJ : Pourquoi assiste-t-on à un renouveau de la peinture en lettres ces dernières années ?

LC : La peinture en lettres revient depuis une dizaine d’années, car elle permet des rendus uniques et de qualité avec un aspect fait main et artisanal. Les restaurateurs et petits commerçants qui font appel à des peintres en lettres pour leur enseigne apprécient de faire travailler des artisans locaux. Un·e peintre en lettres s’adapte aux besoins du client et aux spécificités de sa devanture, c’est un savoir-faire qui n’est pas comparable à celui de la pose d’un adhésif. 

IDJ : Démarchez-vous des clients pour obtenir des commandes ? 

LC : En m’installant à Lille, j’ai tenté de démarcher. Mais cela prend beaucoup de temps pour peu de retours. En réalité, le bouche-à-oreille est plus efficace et le fait de travailler parfois en collaboration avec Maks Signs me permet d’être identifiée plus facilement en tant que peintre en lettres dans la région. 

IDJ : Pouvez-vous me parler d’un projet mené qui vous tient à cœur ?

LC : Avec Maks Signs, nous avons travaillé pour la Cité des Électriciens, une ancienne cité minière à Bruay-La-Buissière. Nous avons réalisé une signalétique discrète permettant d’identifier différentes habitations au sein de la cité rénovée, devenue patrimoine mondial de l’UNESCO. Elles ont été transformées en musée, gîtes, résidences d’artistes et logements sociaux. Sur les vitres des maisons, nous avons écrit les prénoms de celles et ceux qui y avaient vécu. Chaque lettrage adopte un style différent, lié à l’histoire de la personne. Nous nous sommes inspirés de typographies identifiées dans les archives du lieu : journaux, photographies de la ville… pour élaborer des lettrages appropriés.

IDJ : Quelles sont les spécificités d’une typographie adaptée à la peinture en lettres ?

LC : Traditionnellement, les peintres en lettres utilisent des typographies bâtons, auxquelles peut s’ajouter des effets 3D et des ombrages. Tout peut être peint, même s’il y a des formes de lettres qui sont plus aisées à tracer. 

IDJ : Comment vos compétences de graphiste entrent-elles en synergie avec celles de peintre en lettres ? 

LC : Dans un travail de peinture en lettres, il y a toujours une partie relevant de la disposition d’éléments, comme des horaires d’ouverture d’une boutique par exemple. Lorsque le travail de peinture en lettres implique un travail de création graphique, je peux penser le logo en termes d’enseigne. Je vais l’adapter en fonction de son emplacement que j’anticipe : sera-t-il positionné au-dessus d’une porte, ou simplement sur la vitrine ? Je réfléchis aussi à la faisabilité des effets appliqués au logo pour la peinture en lettres. Le fait d’avoir les deux casquettes, graphiste et peintre en lettres, permet d’élaborer un rendu plus cohérent et adapté au lieu. 

IDJ : La peinture en lettres est principalement utilisée sur des vitrines et des enseignes. Auriez-vous d’autres exemples de supports d’application ?

LC : On peut peindre sur tous les supports. En Angleterre, des lettrages sont faits sur des péniches. Cela peut-être aussi sur des véhicules, comme des voitures ou des camions. J’ai déjà peint un vélo triporteur pour une pâtissière. J’ai conçu le logo et l’ai peint sur la face avant du triporteur et ai ajouté différentes informations sur les côtés, comme un numéro de téléphone. J’ai aussi peint des motifs comme des éclats de nougatine, dans des couleurs pastel, permettant d’habiller la caisse du vélo. Colette, la pâtisserie, est mobile. Ses produits sont livrés à vélo dans des cafés par exemple et vendus sur des marchés. Dans ce contexte, la caisse sert de présentoir : il fallait qu’elle soit visible et identifiable.

Peinture en lettre de Louise Comiran pour le triporteur de la pâtisserie Colette

IDJ : Quel est votre processus de création ?

LC : Je commence par des croquis. À présent, je les réalise à l’Ipad et je conçois des mises en situations pour mes clients. Je crée ensuite un poncif — calque à petits trous permettant de reporter les contours des lettres sur la surface à peindre… Puis, une fois les contours reportés, je peins. 

IDJ : Utilisez-vous des pinceaux et peintures spécifiques ?

LC : J’utilise de la peinture diluée au white-spirit, cela permet une plus grande durabilité du lettrage, et des pinceaux plats ayant de longs poils, afin de pouvoir tirer de longs traits.

IDJ : La peinture est une alternative au vinyle, assez polluant. Est-ce ainsi une solution plus responsable ?

LC : Je ne travaille pas avec des pigments naturels, et je ne fais pas moi-même mes couleurs, la peinture n’est donc pas neutre en termes écologiques. Mais les créations de peinture en lettres sont plus durables : elles vieillissent avec le temps et se patinent, contrairement au vinyle qui vieillit très mal, se décolore et peut vite cloquer et craquer. 

IDJ : Un dernier mot ?

LC : J’ai récemment été invitée à participer à l’exposition “Mots voyageurs” à la Condition publique. Une dizaine d’artistes, graphistes, grapheur·euses et typographes interprètent des mots de la langue française dont l’origine est étrangère. J’ai conçu et dessiné le lettrage du mot “toboggan”, qui signifie “traîneau glissant sur une piste” en langues algonquiennes, amérindiennes du Canada. J’ai élaboré un lettrage fluide évoquant l’aspect glissant de la pente et qui puisse être peint d’un seul geste !

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Isaline Dupond Jacquemart

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