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mardi 10 juin 2025
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Le retour du kitsch dans le design graphique : ironie, nostalgie ou stratégie ?

Couleurs criardes, typographies naïves, effets WordArt ressuscités…
Ce qui était encore récemment classé dans la catégorie du « mauvais goût » est aujourd’hui fièrement affiché dans les portfolios, les flyers de soirées et même les campagnes de grandes marques. Mais ce retour du kitsch dans le design graphique contemporain est-il un simple clin d’œil nostalgique ? Une manière ironique de casser les codes ? Ou un geste plus stratégique, pensé pour l’ère du scroll infini et de l’ultra-visibilité ?

Un “mauvais goût” devenu langage visuel

On croyait le kitsch réservé aux mugs souvenir, aux jaquettes de DVD de supermarché ou aux posters de chambres d’ado mal éclairées. Pourtant, il est partout : dans les visuels viraux, dans les expérimentations d’étudiants en écoles d’art, dans la DA de certaines marques qui misent sur le second degré.

Le kitsch est devenu un code esthétique, à la fois repoussant et fascinant, immédiatement reconnaissable, hautement différenciant.

Une esthétique entre ironie et nostalgie

Derrière ce retour du kitsch, deux moteurs se distinguent.
D’abord, l’ironie : une posture typique de la culture internet, où l’on détourne, exagère, déforme. Le kitsch y est utilisé comme une blague visuelle, un pied de nez au bon goût, une disruption volontaire des standards.

Mais il y a aussi la nostalgie. Beaucoup de designers jouent avec les codes de leur enfance ou adolescence (années 90/2000), convoquant Comic Sans, gradients arc-en-ciel, filtres VHS, stickers pixelisés, sans forcément s’en moquer. Ce n’est plus du kitsch moqueur, c’est du kitsch souvenir, du kitsch affectif.

Une manière de se réapproprier des codes populaires autrefois jugés indignes du design “sérieux”.

Une stratégie du décalage

Dans un espace visuel saturé, le kitsch agit comme un bruit volontaire. Il attire l’œil là où l’élégance se fait discrète. Il crée du contraste, du malaise, de l’étonnement.

Certaines marques l’ont bien compris : Crocs, MSCHF, Balenciaga ont bâti des identités visuelles ou des campagnes volontairement grotesques, absurdes, “moches” — précisément parce que cela fait réagir. Dans ce contexte, le kitsch devient un outil stratégique de visibilité.

Jusqu’au kitsch de façade ?

Mais à force de devenir un style comme un autre, le kitsch risque de perdre son pouvoir critique. Ce qui était un geste de transgression devient parfois une formule appliquée sans distance. Le kitsch devient… du marketing. Pire : du décor.

Il ne choque plus, il habille. Il ne remet plus en cause, il devient tendance.

Là où autrefois il portait un vrai potentiel de dérangement (comme chez David Carson ou The Rodina), il devient parfois purement cosmétique — une texture à appliquer comme on applique un filtre.

Une esthétique post-sincérité

Ce que révèle le retour du kitsch, c’est peut-être une nouvelle ère du design : une époque où l’ironie et la sincérité coexistent, où le bon goût n’est plus un repère mais un terrain glissant.
On ne sait plus très bien si on aime pour de vrai, ou pour faire semblant. Et peut-être que ce flou est, justement, ce que cherche à traduire le design aujourd’hui.

Une forme de langage visuel post-sincère, où le kitsch devient un miroir de notre époque confuse, hybride, instable.

Et maintenant ?

Reste à savoir si le kitsch a encore une capacité de subversion, ou s’il n’est plus qu’un effet de mode recyclé. S’il permet d’ouvrir des brèches, ou s’il se contente d’être un emballage « lol » pour des projets fades.

Dans tous les cas, il aura eu le mérite de rappeler que le design graphique est aussi affaire de distance, de détournement, de mise en crise du regard.

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