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mardi 15 juillet 2025
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Le bon goût n’est pas un argument

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Dans les échanges entre designers, clients, directeurs artistiques ou interlocuteurs marketing, l’expression “bon goût” surgit souvent comme une évidence supposée. On l’utilise pour valider une proposition, rejeter un axe, reformuler un brief ou clore une discussion esthétique. Mais à y regarder de plus près, le bon goût est une formule à la fois commode, floue et dangereusement arbitraire.

Elle semble décrire une qualité. En réalité, elle produit un effet d’autorité. En invoquant le bon goût, on ne discute pas : on affirme. Or dans un champ professionnel où la conception visuelle est censée traduire des intentions, des valeurs, des contextes, le goût n’est pas un critère suffisant — ni pertinent.

Ce que masque le “bon goût”

La notion de bon goût a ceci de problématique qu’elle naturalise des préférences acquises, en les présentant comme neutres, universelles ou supérieures. Dire qu’un visuel est « de bon goût », c’est refuser d’en analyser les composantes : le système de signes, les références culturelles, les conventions typographiques, les usages de la couleur, les échos narratifs ou stylistiques.

Le bon goût ne décrit rien. Il juge sans argumenter.
Et ce jugement, le plus souvent, s’inscrit dans une norme implicite, qu’il convient d’interroger : esthétique occidentale moderniste, références industrielles, lisibilité académique, minimalisme valorisé, neutralité feinte.

Le recours au bon goût peut aussi masquer des biais sociaux, générationnels ou culturels. Ce qui est perçu comme élégant par un DA senior parisien ne l’est pas nécessairement pour un jeune designer à Kinshasa, pour une marque populaire grand public ou pour une communauté queer revendicative. Le bon goût est situé, non universel.

Le bon goût comme outil de pouvoir

Dans les processus de validation créative, l’appel au bon goût peut fonctionner comme un instrument d’autorité symbolique. Celui qui le mobilise se place comme détenteur d’un standard, d’une norme non discutée. Cela permet d’écarter une proposition sans avoir à la justifier autrement que par une impression.

Ce mécanisme est d’autant plus problématique qu’il court-circuite l’analyse stratégique : au lieu de se demander si la proposition répond au brief, parle à la bonne cible, active les bons codes ou marque un positionnement, on la juge « bonne » ou « mauvaise » sur une base esthétique supposée.

En ce sens, le bon goût est un piège relationnel. Il bloque la discussion, empêche la pédagogie, renforce les rapports de domination (hiérarchiques, culturels, sociaux). Et il fait du design non pas un outil de sens, mais un exercice de validation symbolique.

Penser au-delà du goût : vers la justesse

Sortir de la logique du goût, ce n’est pas céder à l’arbitraire ou renoncer à l’exigence formelle. C’est au contraire déplacer le critère d’évaluation vers des notions plus précises, plus situées, plus défendables.

On peut interroger une création en termes de :
Pertinence : est-ce adapté au contexte, au public, au message ?
Cohérence : le langage formel est-il en phase avec le discours stratégique ?
Lisibilité : les choix visuels permettent-ils la compréhension, la mémorisation ?
Différenciation : la proposition se démarque-t-elle dans son univers de référence ?
Alignement : le geste créatif reflète-t-il les intentions profondes de la marque ou de l’auteur ?

Ce cadre de lecture permet une discussion professionnelle, argumentée, constructive. Il sort le design du registre du goût personnel pour le replacer dans celui de la conception éclairée.

Le rôle du designer n’est pas de “faire joli”

Il faut se méfier des réflexes d’embellissement, de lissage, d’harmonisation à tout prix. Le travail du designer graphique n’est pas de produire du bon goût : c’est de fabriquer du sens visible, activable, durable.

Dans certains contextes, le bon goût affaiblit. Il neutralise les aspérités. Il rend le discours consensuel. Il empêche la tension. Il évite la prise de position. Il peut faire rater la cible.

Ce n’est pas un hasard si nombre de marques récentes ont construit leur singularité sur une esthétique délibérément “mauvais goût” : brutalisme digital, saturation typographique, couleurs criardes, détournements de codes. Ces stratégies visuelles ont souvent plus d’impact et d’intention que des chartes impeccables mais vides.

Le bon goût change. La culture reste.

Ce qui est “de bon goût” aujourd’hui sera peut-être considéré comme fade ou normatif demain. Le goût est mouvant, sensible au temps, au lieu, aux usages. Ce qui reste, en revanche, c’est la capacité à penser, à structurer, à incarner une idée à travers la forme.

Le designer n’est pas là pour appliquer des critères esthétiques figés, mais pour créer des objets visuels qui parlent, qui durent, qui construisent des imaginaires.
Cela suppose de dépasser le goût personnel pour aller vers une forme de culture visuelle active, critique, partagée.

Invoquer le bon goût dans une discussion de design, c’est choisir la facilité.
C’est éviter la complexité des signes, des usages, des intentions.
C’est parfois imposer une norme sans la nommer.
Et c’est presque toujours un obstacle au dialogue.

Ce dont le design a besoin, ce n’est pas de goût — bon ou mauvais —, mais d’intelligence critique, de justesse contextuelle et de rigueur dans l’intention.
Le goût peut guider. Il ne doit jamais trancher à lui seul.

L’identité de marque : système, langage, position

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Comprendre l’identité de marque : une construction multidimensionnelle

L’identité comme système de signes

L’identité de marque ne se résume ni à un logotype, ni à une charte graphique. Elle constitue un système intégré de signes, de récits, de comportements et de modalités d’interaction, conçu pour produire une perception cohérente et distinctive de la marque dans le temps.

Elle combine trois dimensions fondamentales :

  • La structure stratégique (ou plateforme de marque) : elle définit l’ossature conceptuelle, la raison d’être, la mission, la vision, les valeurs, le positionnement et la promesse. C’est la colonne vertébrale invisible du système identitaire.
  • L’expression formelle (ou langage de marque) : elle regroupe les composantes graphiques (logotype, typographie, couleur, imagerie, motion, etc.), verbales (ton, style éditorial, lexique), sensorielles (son, texture, rythme), et comportementales (interactions, gestes, attitudes).
  • Le déploiement expérientiel (ou comportements de marque) : c’est la manière dont la marque s’incarne dans ses produits, ses services, ses espaces, ses interfaces, ses relations clients, ses engagements sociétaux ou culturels.

Une identité ne vaut que par la qualité de l’articulation entre ces trois niveaux. Si l’un fait défaut, c’est l’ensemble qui perd en cohérence, en puissance ou en crédibilité.

L’identité comme production de sens

Le rôle premier d’une identité de marque n’est pas de rendre visible, mais de faire sens. Elle agit comme un filtre interprétatif : elle oriente la manière dont la marque sera perçue, ressentie, racontée. C’est un outil de mise en récit, de projection, d’identification.

Elle ne sert pas uniquement à différencier une marque de ses concurrentes. Elle permet à une entité de se doter d’une existence culturelle dans un univers où les marques sont des agents sociaux à part entière.

En ce sens, l’identité de marque est une prise de position symbolique. Elle exprime une manière d’être au monde — dans le discours, mais aussi dans l’action.

L’identité comme réponse à un contexte saturé

Marque, image, perception : clarifier les notions

On confond souvent identité, image, réputation et communication. Or il convient de les distinguer pour penser juste.

  • L’identité est ce que la marque construit intentionnellement : son socle, son discours, ses codes.
  • L’image est ce que le public perçoit, avec ses biais, ses projections, ses filtres culturels.
  • La réputation est l’image consolidée dans le temps, chargée d’histoire, d’opinions et d’expériences.
  • La communication est le moyen par lequel la marque tente de projeter son identité vers l’extérieur.

Ces dimensions sont interdépendantes, mais asymétriques. On peut maîtriser son identité, mais non son image. Ce décalage est structurel. C’est pourquoi une identité forte est moins un outil de contrôle qu’un levier de cohérence.

S’exprimer dans un monde sursaturé

Le défi contemporain du design de marque n’est pas simplement de se démarquer, mais d’exister dans un univers saturé de signes, de récits et de promesses concurrentes.

Face à cette saturation :

  • La répétition ne garantit plus la reconnaissance.
  • L’esthétique ne suffit plus à produire de la valeur.
  • L’originalité seule ne génère pas l’adhésion.

Ce qui compte aujourd’hui, c’est la pertinence du langage, sa capacité à exprimer une posture claire, à s’inscrire dans un récit partagé, à convoquer un imaginaire activable.

Une identité performante ne cherche donc pas à être « différente » en soi, mais à être distinctive dans un contexte donné, pour un public donné, avec des enjeux clairs.

Concevoir une identité : processus, méthode, responsabilité

Une approche interdisciplinaire

Concevoir une identité de marque ne relève ni exclusivement du branding, ni uniquement du design graphique. C’est une démarche interdisciplinaire qui croise :

  • La stratégie de marque (définition des fondamentaux),
  • La sémiologie (construction du sens à travers les signes),
  • La direction artistique (formalisation esthétique du langage),
  • L’UX design (prise en compte des usages et interactions),
  • Le marketing (positionnement, offre, canal),
  • La sociologie (lecture des attentes culturelles).

Ce croisement est essentiel. Il garantit que l’identité conçue ne sera pas seulement « belle », mais habitable, appropriable, résiliente.

Définir un territoire : entre cadre et ouverture

Une bonne identité de marque repose sur un système ouvert mais balisé. Elle propose :

  • un vocabulaire formel (signes de base),
  • une syntaxe (principes de combinaison),
  • une grammaire d’usage (contextes, adaptations, formats).

Elle permet à différents acteurs (agences, partenaires, filiales, équipes internes) de faire vivre la marque sans la trahir. Elle organise une latitude créative dans un cadre commun.

L’identité devient alors un outil de transmission, mais aussi un cadre de gouvernance.

Identité, temps, évolution

Penser la durabilité comme principe de conception

Une identité de marque efficace n’est pas celle qui “suit la tendance” : c’est celle qui résiste au temps tout en restant lisible. Elle doit anticiper :

  • les mutations des usages,
  • les évolutions de la marque elle-même (nouvelles offres, diversification, internationalisation),
  • les transformations culturelles et sociétales (sensibilités, langages, attentes éthiques).

Il faut donc penser l’identité comme un système évolutif, et non comme un livrable figé. Elle doit pouvoir s’étendre, se réinterpréter, se recontextualiser sans perdre son intégrité.

Refondre n’est pas renier

Une identité de marque n’est pas intangible. Elle peut, et doit parfois, évoluer. Mais une refonte ne consiste pas à tout changer : elle consiste à réaligner les signes avec la réalité de la marque, à un moment donné de son histoire.

Refondre une identité implique un travail de diagnostic, d’écoute, d’analyse. C’est un acte stratégique, pas un geste graphique isolé. Ce processus doit permettre de réactiver le sens, pas simplement de “moderniser l’image”.

Conclusion

Penser une identité de marque aujourd’hui, c’est refuser les raccourcis formels. C’est comprendre que l’identité n’est pas une enveloppe, mais un écosystème. Qu’elle ne sert pas à embellir, mais à orienter, à affirmer, à faire exister.

C’est également accepter que l’identité ne soit jamais totalement maîtrisée, qu’elle se joue dans l’usage, dans la perception, dans l’interaction. Une bonne identité est celle qui, au-delà des signes, produit du sens, de la cohérence, et de l’adhésion.

Elle ne se réduit pas à ce qu’on voit. Elle est ce qui reste quand tout le reste a été vu.

Se remettre à niveau : le design, ça s’entretient

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Évoluer, observer, apprendre — encore et encore

Dans les métiers créatifs, le diplôme n’est qu’un début. Le reste, c’est une suite d’ajustements, de doutes, de formations parfois formelles, mais souvent informelles. Car le design ne cesse jamais vraiment de bouger. Et, avec lui, ses outils, ses usages, ses formats, ses références.

Rester à niveau ne signifie pas courir après les tendances ou produire des visuels “à la mode”. Cela signifie comprendre les mutations du langage visuel, affiner sa lecture du monde, et renouveler ses manières de faire.

Un métier qui ne tient pas en place

À l’échelle d’une seule décennie, les métiers du graphisme ont vu surgir :

  • le design UX/UI comme pilier de la commande,
  • les outils no-code (Figma, Webflow, Framer) comme standards de production,
  • la montée en puissance des intelligences génératives (Midjourney, DALL·E, ChatGPT),
  • l’émergence de nouveaux formats de contenu (scrollytelling, data visualisation narrative, branding motion-first).

Dans ce contexte, l’idée d’un “niveau” à maintenir est obsolète. Le niveau est mouvant. Ce qui est attendu d’un·e designer aujourd’hui ne l’était pas hier et ne le sera plus demain.

La question n’est donc pas : “Suis-je à jour ?”
Mais plutôt : “Comment est-ce que je me rends disponible au mouvement ?”

La veille : entre inspiration et surcharge

La veille fait partie du métier. Elle alimente. Elle éclaire. Elle stimule.
Mais elle use aussi. Parce qu’elle est infinie. Parce qu’elle crée du comparatif permanent. Parce qu’elle peut faire naître plus de doutes que d’élans.

S’abonner à tous les flux, suivre 300 studios sur Instagram, enregistrer 1000 projets sur Are.na ou Pinterest : ce n’est pas une stratégie, c’est un réflexe. Et à terme, c’est souvent paralysant.

La bonne veille, c’est celle qui s’organise. Qui est choisie. Qui nourrit une curiosité ciblée, plutôt qu’une culpabilité diffuse.
Quelques pistes simples :

  • suivre des studios qui travaillent autrement (par leur éthique, leur format, leur écosystème),
  • explorer d’autres champs que le design (art contemporain, architecture, édition, tech),
  • prendre le temps de comprendre un projet en profondeur, plutôt que d’en scanner dix par minute.

Et surtout, accepter de ne pas tout voir. De passer à côté. C’est le prix de la clarté intérieure.

Se reformer sans repartir à zéro

Se remettre à niveau ne signifie pas “tout recommencer”. Mais prendre acte de là où l’on en est, et y injecter de nouveaux outils, de nouvelles lectures, de nouveaux gestes.

Il n’est plus rare, aujourd’hui, de voir un·e DA senior suivre une micro-formation à Figma. Ou un·e graphiste print s’initier à la narration interactive. Ou un·e designer textile s’ouvrir à la modélisation 3D. Ce sont des ajustements, pas des remises en question.

Les ressources existent — accessibles, souvent gratuites ou peu coûteuses :

  • des cours en ligne (Domestika, Skillshare, The Futur),
  • des conférences enregistrées (Typographics, Adobe MAX),
  • des bootcamps spécialisés (creative coding, motion design, prototypage, etc.),
  • des échanges horizontaux entre pairs : montrer, partager, débriefer.

L’enjeu, c’est de rester en mouvement sans perdre son axe.

Suivre les tendances… ou comprendre ce qui les produit

Les tendances graphiques ne sont pas là pour être “suivies”. Elles sont des symptômes visuels : de préoccupations culturelles, de basculements techniques, d’obsessions sociales.

Comprendre la montée des logos typographiques neutres ou l’explosion des visuels générés par IA, ce n’est pas céder à la mode : c’est lire le monde. C’est comprendre ce que les images traduisent, ce que les commanditaires attendent, ce que le public absorbe.

Et parfois, c’est aussi savoir s’en détacher. Refuser le dernier effet de style quand il dessert le fond. Proposer autre chose. Créer la tangente.

Se remettre à niveau, c’est aussi affirmer : je sais ce qui se fait, et je choisis ce que je fais.

Faire place à la culture

Rester à jour techniquement ne suffit pas. Il faut aussi nourrir son regard, élargir ses repères, renouveler ses intuitions.
C’est souvent là que tout se joue. Parce qu’un·e designer qui pense toujours à travers les mêmes références produit des objets déjà vus.

Lire, aller voir des expos, écouter des podcasts, feuilleter une revue d’architecture, assister à une conférence sur l’urbanisme ou l’éco-conception : tout cela est du travail. Du vrai.

Cela ne génère pas de facture. Cela ne remplit pas un devis. Mais cela rend possible un design qui pense. Et donc un design qui dure.

Conclusion

Se remettre à niveau, ce n’est pas une course — c’est une posture.
C’est accepter que notre métier soit en mouvement constant. C’est faire de l’ajustement une pratique naturelle, pas une contrainte. C’est ne pas se figer dans ce qu’on sait, mais non plus se perdre dans ce qu’on ne sait pas encore.

Un bon designer n’est pas toujours à la pointe.
Mais il ou elle sait où porter le regard — et pourquoi.

Porter son produit : une nouvelle ère pour le packaging

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Longtemps resté cantonné au rayon, l’emballage commence à s’échapper des linéaires. Il migre vers le cou, la main, la poche intérieure. Il devient accessoire, signature, objet de soi. Bienvenue dans l’ère du packaging à porter : une tendance émergente qui redéfinit à la fois l’usage, la forme et la place du produit dans la vie quotidienne.

De l’objet d’usage à l’objet porté

Compact façon médaillon, parfum suspendu à une chaîne, baume à lèvres glissé dans une bague : l’emballage ne disparaît plus après usage, il s’affiche. Il devient visible, revendiqué, désirable. Il ne s’agit plus seulement de contenir : il s’agit de créer une présence.

À mi-chemin entre design produit et bijou narratif, ces nouveaux formats brouillent les codes : est-ce un cosmétique ? un accessoire ? une extension du corps ? Cette ambiguïté fait leur force. Car ils injectent du rôle, du rituel, du lien émotionnel dans un acte banal : se maquiller, se parfumer, se soigner.

Pourquoi ça fonctionne

Dans un contexte saturé de stimuli visuels et d’objets standardisés, l’emballage traditionnel peine parfois à émerger. Le packaging porté, lui, marque une rupture immédiate. Il attire l’œil, mais surtout : il invite au geste. On l’ouvre, on le touche, on le montre. Il devient conversationnel, presque viral.

Mais sa portée ne se limite pas à l’effet « waouh ». Il répond aussi à des attentes de fond :

  • modularité (un objet qu’on emporte sans sac),
  • durabilité (des recharges, pas des déchets),
  • personnalisation (le design s’adapte au style),
  • symbolique (l’objet signifie quelque chose).

C’est la fusion du contenant et du message : le produit ne dit pas seulement « je suis utile », il dit « je suis à toi ».

Le design comme prolongement identitaire

Ce type de packaging ne joue pas uniquement sur la forme. Il tisse une expérience sensorielle et narrative complète. Le produit se fond dans un usage quotidien, mais il le transcende en devenant signe : je porte ce parfum autour du cou parce qu’il me raconte. Je sors ce compact comme on sort un bijou.

Pour les marques, c’est une aubaine : le packaging devient un support de fidélité émotionnelle.
Pour les designers, c’est un défi : comment concevoir des objets mixtes, durables, ergonomiques et signifiants ?
Pour les utilisateur·rices, c’est un jeu de rôle : on ne se contente plus d’appliquer un produit, on s’y engage.

Une nouvelle grammaire du design

Derrière cette tendance, c’est tout un vocabulaire du design qui évolue. L’emballage n’est plus uniquement graphique. Il est :

  • portatif : il doit se glisser, se suspendre, s’adapter au mouvement.
  • hybride : entre boîtier, accessoire, outil de soin.
  • sensoriel : texture, poids, fermeture, cliquetis deviennent des éléments signifiants.
  • récurrent : on le réutilise, on le recharge, on le montre.

Le design ne se contente plus de séduire. Il s’incarne, au sens presque littéral du terme.

Quand la beauté rejoint la mode (et inversement)

Cette porosité ouvre des passerelles inédites entre secteurs : le soin devient joaillerie, le maquillage devient fashion statement. On assiste à un glissement naturel vers des collaborations transversales : studio de parfum × créateur de bijoux, marque de skincare × designer textile.

Ce croisement crée de la rareté, du collectionnable, du partageable, et insuffle une nouvelle dynamique aux marques qui cherchent à sortir du lot sans refaire “une campagne comme les autres”.

Sur les réseaux, ces objets deviennent des mises en scène à eux seuls. On ne montre pas un flacon : on le porte. On ne présente pas une nouveauté : on l’attache à soi.

Le packaging à porter n’est pas une simple tendance formelle. Il incarne une mutation plus profonde : celle d’un design qui ne se contente plus de vendre un produit, mais qui entre dans la vie réelle, au croisement du soin, de la parure et du quotidien.

Il impose aux créatifs une nouvelle responsabilité : penser au-delà de l’esthétique, et imaginer des objets qui vivent — et survivent — au-delà du rayon.

Cet article s’inscrit dans une réflexion plus large autour des mutations du packaging observées dans les milieux du design produit, de la cosmétique et de la mode. Il est librement inspiré des tendances émergentes repérées à l’international, et reformulé dans une perspective culturelle et graphique propre à étapes.

Design invisible : penser le PDF comme un objet éditorial

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Ce que contient vraiment un fichier qu’on croit neutre

Souvent réduit à un simple format de livraison, le PDF reste largement perçu comme un support intermédiaire, transitoire, technique. Il serait l’ombre d’un document imprimé, la version figée d’un projet destiné à vivre ailleurs, l’enveloppe d’un contenu “réel” que l’on consulte, vérifie ou archive.

Et pourtant, dans la réalité contemporaine des pratiques graphiques, culturelles, éditoriales et professionnelles, le PDF est devenu un espace de lecture, de consultation, de diffusion – et donc de conception à part entière.
Il ne se contente pas de véhiculer du contenu : il organise un rapport au texte, à la page, au rythme, à la narration. En d’autres termes, il édite.

Le PDF n’est pas neutre

Créer un PDF, c’est faire des choix.
Même lorsque l’objectif est de “reproduire fidèlement” une mise en page imprimée, on prend des décisions implicites :
– choix du format (A4, US letter, paysage, vertical, fractionné),
– mode de lecture (page simple, double page, scrolling, zoomabilité),
– poids du fichier, résolution, compression, compatibilité mobile,
– structure hiérarchique, métadonnées, pagination, sommaire, navigation.

Tous ces éléments ont un impact direct sur la manière dont le contenu est perçu, compris, mémorisé.
Un PDF est une interface. Et comme toute interface, elle produit des effets cognitifs, visuels, temporels.

Un format natif pour une lecture contemporaine

Aujourd’hui, un nombre croissant de contenus sont conçus pour être lus exclusivement en PDF : dossiers de présentation, portfolios, magazines digitaux, programmes de formation, rapports de tendances, newsletters en pièce jointe, etc.

Dans ces cas-là, le PDF n’est pas une trace de l’imprimé. Il est la version principale.
Cela signifie que le designer doit penser le fichier comme un objet autonome, avec ses contraintes spécifiques :
– il ne sera peut-être jamais imprimé,
– il sera lu sur des supports très variés (mobile, desktop, tablette),
– il sera feuilleté rapidement, parcouru par scrolling, fragmenté, enregistré, partagé.

La logique de lecture n’est plus linéaire, mais fragmentée, hypertextuelle, conditionnelle. Le PDF devient alors un véritable espace éditorial numérique, où la hiérarchie, le rythme, la lisibilité, la densité visuelle sont à repenser.

L’éditorialisation invisible du quotidien

Les designers produisent des dizaines de PDF chaque mois : présentations client, planches de recherche, argumentaires, devis commentés, grilles de production, recommandations typographiques, etc.

Chaque PDF est un fragment de discours.
Il expose un point de vue, organise une narration, rend visible une stratégie. Pourtant, ces documents restent souvent traités comme de simples “fichiers techniques”. On y accorde peu d’attention formelle, peu de rigueur typographique, peu de conscience éditoriale.

Il y a là une contradiction : alors même que le PDF est l’un des supports les plus utilisés pour transmettre de la valeur, il est rarement pensé comme un espace de conception.

Revaloriser le PDF, c’est reconnaître qu’il fait partie du geste graphique. C’est admettre qu’un document livré est aussi une prise de parole, une mise en scène de l’information, une expérience de lecture.

Le PDF comme espace de circulation

Un PDF est un objet qui se transmet. Il sort du poste du designer pour circuler : il est envoyé, téléchargé, partagé, commenté, ouvert dans différents contextes, avec différents objectifs.
Il devient un objet édité qui produit de l’interprétation.

Dans un univers professionnel où la présentation d’un projet compte autant que sa qualité intrinsèque, la forme du PDF devient stratégique. Elle peut :
– soutenir ou affaiblir une proposition,
– clarifier ou noyer une idée,
– créer de la confiance ou du doute,
– générer une lecture attentive ou un survol distrait.

En ce sens, le PDF est un vecteur de relation. Il porte un ton, une intention, une rigueur. Il est un outil de diplomatie graphique, mais aussi de positionnement culturel.

Travailler le PDF, c’est exercer son regard

Revaloriser le PDF comme espace éditorial, c’est reconnaître qu’il mérite les mêmes attentions que les autres supports :
– construction typographique claire,
– principes de grille lisibles,
– hiérarchies visuelles maîtrisées,
– ton rédactionnel adapté,
– formats d’export testés et assumés.

C’est également une manière de défendre une pratique du design plus cohérente, plus exigeante, plus située.
Ce qui est “juste un fichier joint” est aussi un acte de design.
Et c’est souvent le premier contact réel entre un projet et un interlocuteur.

Conclusion

Le PDF n’est pas un résidu technique ni une version mineure d’un contenu pensé pour l’imprimé.
C’est un support autonome, actif, lisible, partageable, structurant.
C’est un espace éditorial à part entière, qu’il faut traiter avec autant de soin, d’intention et de rigueur que tout autre support de diffusion.

Dans une culture professionnelle où la forme conditionne la réception, penser le PDF comme une publication, et non comme un simple fichier, c’est reprendre la main sur ce que l’on transmet — et sur comment cela sera compris.

Designer junior : les vérités qu’on découvre après le diplôme

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Bravo. Vous êtes diplômé·e. Vous avez planché sur un mémoire, donné tout ce que vous pouviez dans votre book, reçu les félicitations (ou pas) du jury, et peut-être serré la main de votre directeur d’école avec un mélange de soulagement et de fatigue. Mais maintenant ?

Maintenant commence ce que l’école appelle pudiquement « l’entrée dans la vie professionnelle ».
Mais soyons honnêtes : ce passage est flou, vertigineux, parfois déroutant. Et il n’est pas toujours à la hauteur des discours qu’on vous a servis.

Alors voici, sans filtre ni cynisme, ce que vous avez peut-être besoin d’entendre si vous sortez tout juste d’école de design, en 2025.

1. Ce n’est pas grave si vous ne savez pas exactement où vous allez

Vous sortez avec un diplôme en poche, mais pas forcément un cap professionnel clair. Identité graphique ? Motion design ? Direction artistique ? Freelance ? Studio ? Start-up ? Il y a trop de possibles, et parfois aucun ne semble concret.

C’est normal. Ce flou est aussi un espace. Vous n’êtes pas censé·e savoir tout de suite où vous serez dans 5 ans. Ce que vous ressentez n’est pas un retard — c’est une période de transition. Elle est inconfortable, mais elle est fertile.

Prenez le temps de creuser ce que vous aimez vraiment faire. Pas ce que vous “sauriez faire” sur le papier. Ce que vous avez envie de défendre, de répéter, de voir se développer dans votre travail.

2. Les offres d’emploi peuvent être déprimantes. Mais elles ne vous définissent pas.

Oui, beaucoup d’annonces sont floues, mal payées, surchargées, exigeant “5 ans d’expérience” pour une mission de junior.
Mais elles ne sont pas une sentence. Ce n’est pas parce que le marché est bancal que vous l’êtes.

Rappelez-vous que les métiers créatifs ont souvent une entrée par la bande : recommandation, mission test, projet perso remarqué. Ça peut être décourageant, mais c’est aussi un terrain à investir autrement. Proposez vos idées. Montrez ce que vous aimez faire. Tissez des liens avant de chercher à “être pris”.

Et surtout : vos études n’ont pas été un simple marchepied vers un job. Elles vous ont formé·e à penser, à chercher, à défendre des intentions. Ne perdez pas cette densité — même si le terrain vous semble aride.

3. Vous avez le droit d’être fier·e de ce que vous venez de faire

Dans la course aux likes, aux books ultra léchés et aux comptes pro “inspirants”, on oublie parfois que finir ses études, c’est déjà un effort immense.

Vous avez tenu. Vous avez appris. Vous avez créé.
Et même si votre diplôme ne vous ouvre pas grand-chose dans l’immédiat, il vous donne une structure, une base, une grammaire.
Vous avez le droit d’être fier·e de vos projets de diplôme, même s’ils ne sont pas parfaits.
Vous avez le droit de ne pas encore avoir de “références clients”.

Ce que vous avez produit ces dernières années, c’est votre socle. Ne le reniez pas. Et ne vous excusez pas de débuter.

4. Les rencontres compteront plus que les likes

Oui, poster votre book sur Behance, Instagram ou LinkedIn peut vous ouvrir des portes. Mais les vraies collaborations naissent souvent ailleurs :
– dans une discussion prolongée après un vernissage,
– dans une recommandation en off,
– dans un message échangé au bon moment,
– dans un ancien camarade devenu chef de projet quelque part.

Le monde du design est un écosystème. Il repose plus sur la confiance que sur la visibilité.
Travaillez votre présence, oui, mais surtout cultivez vos relations humaines. Soyez curieux·se, humble, clair·e dans vos intentions.

5. On va vous sous-payer. Et il va falloir poser des limites.

Beaucoup d’entre vous vont commencer en stage prolongé, en CDD “à l’essai”, en mission freelance mal cadrée, voire en travail dissimulé maquillé en “collaboration”.
C’est injuste. C’est courant. C’est difficile à refuser quand on débute.

Mais plus tôt vous poserez vos seuils acceptables, plus votre trajectoire sera saine.

Apprenez à faire un devis, même approximatif. À dire non, poliment mais fermement. À demander un contrat écrit.
C’est ça aussi, entrer dans le métier : apprendre à faire respecter le vôtre.

6. Ce que vous êtes ne se résume pas à ce que vous produisez

Vous allez parfois avoir l’impression de ne plus savoir dessiner, concevoir, proposer. D’être vidé·e, démotivé·e, invisible. C’est normal.
Parce que le monde professionnel n’a pas la même temporalité que l’école. Il est lent, flou, parfois hostile.

Ne vous définissez pas uniquement par vos rendus, vos clients, vos retours positifs. Continuez à lire, à écouter, à expérimenter.
Le design n’est pas que production : c’est aussi regard, culture, posture. Nourrissez-les.

Entrer dans la vie pro, ce n’est pas se jeter dans le grand bain. C’est avancer dans une brume mouvante.
Mais vous n’êtes pas seul·e. Et vous avez des outils. Des idées. Des principes. Une manière de voir que vous pouvez affiner, transmettre, transformer.

On ne devient pas designer à la sortie d’un diplôme.
On devient designer par ce qu’on fait, ce qu’on cherche, ce qu’on ose — et ce qu’on refuse.

Bonne route.

L’attachement émotionnel dans les métiers du design

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Quand le design devient personnel — même quand ce n’est pas le nôtre

Il y a ces projets qu’on accepte « pour faire tourner ». Ceux qu’on enchaîne mécaniquement, sans passion mais avec efficacité. Et puis il y a les autres : ceux qui comptent, sans qu’on sache vraiment pourquoi. Un livrable de plus dans une longue série… mais qui déclenche quelque chose de plus grand. Un affichage public dans notre ville, une identité qu’on défend bec et ongles, un projet sur lequel on repasse même après livraison.
On s’y attache.

Ce phénomène, tous les créatifs le connaissent. Ce lien étrange, à la fois affectif, esthétique, professionnel, qui se crée parfois entre un·e designer et un projet. Un rapport qui dépasse le contrat, qui déborde le cadre du travail, et qui dit quelque chose de plus profond : notre manière de vivre le métier.

Un investissement qui dépasse la commande

Créer, ce n’est jamais juste « exécuter ». Même sur les missions les plus balisées, il y a toujours un choix à faire, un doute à lever, une micro-intuition à trancher. Et à mesure qu’on affine, on s’implique. On s’approprie les partis pris. On défend des orientations. On prend des risques — parfois minuscules, mais très réels.

Ce n’est pas une simple implication professionnelle. C’est un engagement créatif, qui mobilise :

  • notre vision (même quand elle reste en retrait),
  • notre sensibilité visuelle,
  • et souvent, nos propres valeurs.

Alors forcément, quand le projet dévie, est modifié, aplati, ou pire : abandonné… ça touche. Parce qu’on ne défend pas qu’une couleur, une typographie ou une composition : on défend une manière de voir. Et on s’y expose.

Ce qu’on met dans un projet

Beaucoup de designers évoquent cette sensation : travailler sur un projet et se surprendre à penser à lui en dehors du travail. Revoir une affiche dans la rue et vouloir modifier une ligne. Croiser un client au marché et avoir l’envie irrépressible de lui demander « alors, ça a marché ? ». Se sentir presque offensé quand quelqu’un déforme la charte qu’on a construite.

C’est que dans chaque projet, on glisse des choses invisibles :

  • des références intimes,
  • des recherches personnelles,
  • des choix qu’on ne justifie pas, mais qu’on sent justes.

Un projet devient alors le miroir de ce qu’on sait faire — mais aussi de ce qu’on est. Et c’est là que l’attachement prend racine : dans cette porosité entre le soi professionnel et le soi créatif.

Quand le projet échappe

Le paradoxe, c’est que le design reste un travail de commande. Le projet, aussi inspirant soit-il, ne nous appartient pas vraiment. Il est lié à un client, une marque, une institution. Il est destiné à circuler, à être manipulé, décliné, transformé. Et c’est là que l’attachement peut se retourner contre nous.

Beaucoup de professionnel·les décrivent la frustration de voir un projet :

  • modifié sans concertation,
  • bricolé sans respect des intentions initiales,
  • ou mis au placard après des semaines de travail.

Et cette frustration est d’autant plus vive qu’elle n’est pas “rationnelle” : elle est émotionnelle. Elle révèle l’écart entre l’image idéalisée du projet — celle qu’on a construite, rêvée, portée — et sa réalité finale.

C’est aussi dans ces moments-là qu’émergent des sentiments qu’on tait souvent dans les milieux créatifs : la déception, la rancœur, l’impression de ne pas être reconnu·e.

La tentation du détachement

Face à ça, certain·es choisissent de se blinder. De ne plus trop s’impliquer. De ne plus “aimer” les projets sur lesquels ils ou elles travaillent. C’est une manière de se protéger. De limiter la casse. De se dire qu’« après tout, ce n’est qu’un taf ».

Mais ce détachement est rarement durable. Parce qu’il va à l’encontre de ce qui nous a fait choisir ce métier. Parce que le design, au fond, repose sur une forme d’attachement : à une idée, à une vision, à un résultat. Sans cela, il devient pure exécution. Et c’est là que naît l’usure.

Il ne s’agit donc pas de couper le lien. Mais peut-être de le rééquilibrer.

S’attacher juste ce qu’il faut

Apprendre à s’attacher sans se perdre, c’est sans doute l’un des plus grands apprentissages du métier. Cela passe par :

  • reconnaître ce que l’on met de soi dans un projet (sans en faire un fardeau),
  • accepter que le résultat final ne soit jamais exactement ce qu’on avait imaginé,
  • trouver des espaces de création personnelle, où l’on peut s’investir sans médiation.

C’est aussi, parfois, se réjouir qu’un projet fonctionne, même si notre version préférée n’a pas été retenue. Parce que le métier, ce n’est pas d’imposer sa vision, mais d’en proposer une, et d’en discuter.

Et dans certains cas, c’est le projet lui-même qui rend le détachement possible. Parce qu’il aura trouvé sa place. Parce qu’il vit sans nous. Parce qu’il touche, ailleurs, d’autres personnes. Et dans ces moments-là, l’attachement devient autre chose : une fierté calme.

Conclusion

L’attachement n’est pas une faiblesse : c’est le signe qu’on prend notre travail à cœur.
Mais pour qu’il reste moteur — et non entrave — il faut apprendre à le regarder, à le nommer, à le doser.
C’est dans cet équilibre que se joue, sans doute, la maturité du regard graphique.

Freelance ou en agence, pourquoi partir fatigue autant que rester

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Pourquoi les vacances sont (encore) un casse-tête pour les pros du design

Travailler dans le design, c’est souvent aimer ce qu’on fait. Mais ça ne suffit pas à s’autoriser du repos. Pour les freelances, s’arrêter, c’est perdre du revenu. Pour les agences, c’est jongler entre plannings serrés, demandes urgentes et imprévus clients. Dans les studios comme en solo, partir en vacances reste une affaire sensible — parfois même plus stressante que de rester.

En freelance : tout prévoir, et tout reporter

L’illusion est tenace : être indépendant, c’est être libre. Dans les faits, nombreux·ses sont les freelances à partir « quand ça peut », à repousser « quand ce sera plus calme », ou à garder « un œil sur les mails quand même ». Résultat : la frontière entre repos et disponibilité se brouille.

Car partir en vacances, pour un·e freelance, ce n’est pas seulement s’éloigner d’un bureau : c’est couper le flux mental d’un travail qu’on gère seul·e. Cela suppose :

  • d’anticiper les deadlines de ses clients (et les leurs),
  • de caler les relances et factures avant départ,
  • de prévenir les prospects, sans crainte de « rater un projet »,
  • et parfois, d’assumer une forme de vide à la reprise.

Il faut souvent compenser avant, rattraper après. On laisse un mail d’absence, mais on répond quand même. Et on part parfois avec le sentiment diffus d’abandonner un chantier qu’on n’a pas le droit de poser.

En agence : les plannings n’aiment pas l’été

Dans les studios ou agences, les vacances se planifient, bien sûr. Mais souvent avec une organisation tendue entre impératifs de production et gestion d’équipe réduite. Deux DA qui partent en même temps, un développeur absent sur une livraison, un client qui “profite de l’été pour tout relancer” : l’équation est délicate.

Certains projets sont recalés pour éviter l’absence d’un maillon-clé, d’autres sont intégrés à marche forcée avant que tout le monde ne parte. Il y a aussi les rétroplannings artificiels, conçus pour “tenir jusqu’à mi-août”… en supposant qu’aucun retard ne survienne. Spoiler : il survient toujours.

Et derrière la gestion apparente, une pression implicite s’installe : celle de ne pas être celui ou celle qui “désorganise la chaîne” par son absence.

Travailler à distance… vraiment ?

Beaucoup partent avec leur ordi, “au cas où”. Une relecture rapide, une V2 à envoyer, une validation de BAT. Ce petit geste, présenté comme anodin, recrée une forme de présence invisible. Or, dès qu’un mail est envoyé, l’interlocuteur considère que la porte est entrouverte. Et il s’y engouffre.

La plupart des pros du graphisme ont déjà vécu ces faux congés, où l’on partage des stories de plage pendant qu’on répond à un appel client en stress, à côté d’un chargeur trop court.

Même dans les structures bien organisées, la culture du “toujours dispo” reste difficile à contrer. On envoie un message “hors bureau” mais on espère secrètement ne pas trop se faire oublier.

Et si on changeait de modèle mental ?

Plus que d’outils, c’est souvent de permission intérieure dont les pros du design manquent. La peur de manquer une opportunité, d’être remplacé, de perdre le rythme ou d’être perçu comme peu fiable est omniprésente. Or elle se heurte à une autre réalité : le design demande du recul, du vide, du temps. Il n’y a pas de créativité sans disponibilité mentale.

Le repos n’est pas une option dans les métiers créatifs : c’est une composante du métier lui-même. Pourtant, cette évidence reste peu admise, car elle ne produit pas de livrable, ne figure pas dans les plannings, et ne se facture pas.

S’arrêter ne devrait pas être une exception à gérer. Mais une respiration intégrée.
Dans un monde où la fatigue devient structurelle, réapprendre à couper vraiment, à transmettre un projet sans culpabilité, à laisser un mail en plan quelques jours — c’est peut-être l’acte de design le plus sain qu’on puisse poser.

étapes : 276 – en kiosque

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Chers lecteurs,

C’est avec enthousiasme que nous vous annonçons la sortie du numéro 276 de votre revue étapes:, désormais disponible en kiosque. Les abonnés le recevront directement dans leur boîte aux lettres dans les prochains jours.

Ce nouveau numéro vous invite à un voyage graphique aux quatre coins du globe. Quelles sont les tendances, les préoccupations, les esthétiques qui façonnent le design visuel sur d’autres continents ? Comment les contextes culturels, sociaux ou politiques influencent-ils la création graphique ? Nous avons voulu poser un regard large, curieux et comparatif sur la scène internationale du design graphique.

Au sommaire de ce numéro :

✦ AGENDA

Les expositions, festivals et rendez-vous graphiques à ne pas manquer.

✦ ACTUALITÉS DU DESIGN

Un tour d’horizon des projets, studios et initiatives qui font bouger le paysage visuel.

✦ DOSSIER INTERNATIONAL

Un voyage culturel à travers les couleurs du monde

  • Europe : pluralité d’écoles et mutations post-digitales
  • Afrique : entre transmission, affirmation identitaire et innovation
  • Amériques : du design engagé aux expérimentations de formats
  • Asie & Pays du Golfe : entre traditions revisitées et futurisme visuel
  • Océanie : regards croisés sur les enjeux insulaires et environnementaux

✦ ARTIFEXLAB

Un nouveau lieu hybride à Paris mêlant graphisme, artisanat et innovation : découverte d’un espace multidisciplinaire à suivre de près.

✦ DÉBAT

Le graphisme comme métier : état des lieux d’une profession en question.
Entre statuts précaires, nouvelles formes de collaboration et évolutions du rapport au commanditaire, où en sommes-nous vraiment ?

✦ FLASHBACK

Retour en 2003 avec le numéro 215, consacré au graphisme français. Que reste-t-il de cette scène ? Que disent les archives de nos pratiques actuelles ?

✦ TRIBUNE

IA & Design Graphique : contre le design de synthèse
Une prise de position critique sur les dérives d’un automatisme esthétique.

étapes: 276 est une invitation à décentrer le regard, à s’inspirer de formes graphiques nées ailleurs, dans d’autres langues, d’autres enjeux, d’autres urgences. Un numéro pour penser le design dans toute sa diversité mondiale.

Bonne lecture,
La rédaction