Les arts numériques à l’ère de l’anthropocène avec la Biennale Némo

Pour sa quatrième édition, la Biennale Némo se déploie dans plus de seize villes en Île-de-France et pendant trois mois. La programmation met à l’honneur l’art numérique comme moyen de révéler l’invisible. Phénomènes naturels, artistiques, écologiques ou encore sociaux sont décortiqués. À l’ère de l’anthropocène, la création numérique devient un moyen d’opérer un retour critique sur les liens entre technologies et écosystèmes sociaux et naturels.

Semiconductor. 20 Hz.


Au sein de la large programmation de la Biennale Némo, plongée dans plusieurs salles de l’exposition phare, Au-delà du réel. Elle se déroule au CENTQUATRE-PARIS du 9 octobre 2021 au 2 janvier 2022 et rassemble une trentaine d’artistes dont les travaux sont répartis dans sept espaces.


Enquêter avec les arts numériques


Les outils numériques permettent de cartographie notre monde. Ils sont notamment le moyen de créer des simulations. Dans la salle Bureau d’expertise des phénomènes invisibles, différentes installations opèrent un retour critique sur l’usage de ces techniques. L’artiste Alan Warburton, non sans un humour grinçant, matérialise grâce à un petit lapin créé à partir de poussières, 35 000 heures de travail de dix employé·es d’une entreprise informatique. Jean-Marie Delbes et Hatim El Hihi, experts en réalité diminuée, effacent avec dérision les musiciens décédés de leur pochette de disque. Seuls deux Beattles traversent Abbey Road…

Quant à Heather Dewey-Hagborg, elle déconstruit l’hégémonie de l’ADN dans les domaines scientifiques. L’artiste nous présente une collection d’une vingtaine de portraits possibles de la lanceuse d’alerte Chelsea Manning. Ceux-ci sont générés de manière algorithmique grâce à l’analyse d’un prélèvement de son ADN. Ces multiples simulations visuelles montrent que l’ADN, loin d’être le code d’une vérité unique, est avant tout une donnée qui s’interprète… comme toute information. C’est par le décalage et le second degré que ces créateurs nous invitent ainsi à aiguiser notre esprit critique vis-à-vis des technologies.

Heather Dewey-Hagborg. Probably Chelsea Manning. Crédits photo Paula Abreu Pit.


Visualiser l’anthropocène


Le parcours de découvertes se poursuit dans les salles dédiées à la thématique La Terre en colère. Elles sont consacrées à la présentation de phénomènes terrestres et de l’empreinte humaine sur notre écosystème. Le projet ce recherche-création Cosa Mentale de David Munoz, ingénieur-chimiste de formation, permet de rendre accessible la visualisation de différentes facettes du réchauffement climatique. Les images fabriquées par l’artiste croisent photographie et réalité virtuelle. Elles sont intégrées à une installation, complétée par une création sonore de la compositrice Camille Sauer. David Munoz s’intéresse aux “hyperobjets”, concept créé par le philosophe écologiste Timothy Morton. Les trous noirs ou encore l’ensemble du plastique dans les océans, mais aussi du dioxyde carbone dans l’atmosphère sont autant d’objets aux dimensions gigantesques dont les contours sont difficilement saisissables.

Avec une autre approche, le duo Semiconductor dans l’installation immersive Earthworks nous donne à voir et à entendre les ondes animées par le son des activités sismiques, volcaniques, glaciaires et humaines. Un travail qui résonne visuellement avec celui de Léa Barbazanges. La plasticienne dévoile les propriétés optiques du mica dans un projet mené avec Sylvain Ravy, chercheur au CNRS et directeur au Laboratoire de Physique des Solides de l’Université Paris-Saclay.

Semiconductor. Earthworks.


Dystopies technoscientifiques


Les nouvelles technologies sont parfois mises au service de l’environnement, mais le mariage n’est pas toujours heureux. C’est au cœur de dystopies technoscientifiques que nous plongent les artistes de la salle Natures dénaturées. Donatien Aubert présente sa création Les Jardins cybernétiques. Elle est composée de sculptures en métal accueillant des végétaux ainsi que d’un film d’animation. L’artiste vise à mettre au jour la manière dont la modernité technoscientifique fait évoluer nos représentations mentales du vivant. Dans Zone Bleue, installation de réalité virtuelle, Stéfance Perraud et Aram Kebabdijan convient les visiteur·euses en 2415. Cette étude prospective documente des paysages futuristes en ruines, affectés par l’industrie nucléaire. Quant à Paul Duncombe, il présente des éléments naturels exposés à différentes sources de pollution radioactive. Dans cette création proche de la science-fiction, le développement de ces plantes est assuré par des automates. Des capteurs mesurent l’influence de la radioactivité au cours de la croissance. Une manière de se projeter dans le futur pour mieux saisir les enjeux de l’anthropocène.

Dans le prolongement de cette réflexion, une rencontre autour de la cybernétique et de l’agriculture urbaine aura lieu le 13 octobre à 19h au CENTQUATRE-PARIS. Elle est organisée par AgroParis Tech. Ce moment d’échanges Demain: des fermes gratte-ciel ? rassemblera le plasticien Donatien Aubert et Claire Cheni, professeure à AgroParisTech et ambassadrice spéciale pour les sols à l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, agences des Nations Unies. Cette programmation est complétée de nombreuses autres expositions et événements parties prenantes de la Biennale Némo, du 9 octobre 2021 au 9 janvier 2022.

→ Consulter le programme de la Biennale Némo
→ Consulter le programme de l’exposition Au-delà du réel au CENTQUATRE-PARIS

Donatien Aubert. Les jardins cybernétiques.
Alexandra Daisy Ginsberg. The Substitute.
Tega Brain, Julian Oliver et Bengt Sjölén. Asunder. Crédit photo Luca Girardini.
Forensic Architecture. The Bombing of Rafah.
Studio Richard Vijgen.

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