Pape du disco pour certains, Papa de la French Touch pour d’autres, les qualificatifs ne manquent pas en ce qui concerne le musicien Marc Cerrone. En 40 ans de carrière, celui qui a fait du rythme une obsession, a marqué plusieurs générations avec ses nombreux disques. Une superbe épopée musicale, loin d’être achevée, en témoigne la récente sortie de l’EP “AFRO”, prémisse d’un album à venir chez Because.
Récemment, étapes: a pu rencontrer différents artistes pour échanger avec eux sur leur rapport à l’image (Breakbot, Nicolas Godin, Major Lazer). L’opportunité de discuter avec Cerrone fut l’occasion d’aborder une autre facette de sa personnalité, de découvrir la confiance qu’il a toujours accordé aux artistes et comment depuis quelques années, il s’est lui-même lancé dans la peinture.
http://www.cerrone.net
http://because.tv
On te connaît pour ta carrière musicale, mais quel est ton rapport à l’image ?
Cerrone : L’image a toujours été très importante pour moi, c’est pour ça que dès le début, j’ai toujours fait attention aux illustrations de mes pochettes de disque. Je viens d’une période seventies où les pochettes n’avaient parfois pas de rapport à première vue avec le contenu musical, mais elles étaient très fortes.
Dans mes spectacles aussi, tout ce qui est visuel a une énorme importance. Faire attention à l’image fait partie du pack complet de l’expression d’un artiste, je trouve.
Je crois que tu fais de la peinture aussi ?
En ce qui concerne la peinture, c’est plus récent. Un jour, il y a une dizaine d’années, une association est venue me voir pour me proposer de faire une toile. Il y avait 50 artistes conviés à cet exercice, dédié à une cause humanitaire. J’ai accepté et attaqué ma première toile, puis ensuite une deuxième et comme les personnes qui me voyaient faire m’ont fait des bons retours, j’ai dit que j’avais raté les deux toiles, pour qu’on me renvoie deux toiles vierges. J’ai commencé à en faire 4, 5…
Un jour, mon ami Cornette de Saint-Cyr (commissaire priseur et directeur de musée français), qui passait dans ma prod me dit “c’est pas vrai, ne me dis pas que c’est toi qui peint ça”. Comme il ne me croyait pas, il m’a demandé de prendre un après-midi pour peindre une toile devant lui. Je ne me suis pas vexé et je l’ai faite. Il m’a ensuite parrainé. C’est comme ça que je me suis mis à la peinture.
Ensuite j’ai eu la chance d’être exposé dans la célèbre galerie Markowicz à Miami pendant le Art Basel 2015 et j’ai même aujourd’hui une clientèle internationale. C’est incroyable, c’est un truc parallèle, on en parle très peu.
C’est complètement dissocié de ton activité musicale ?
Oui et ça me plait beaucoup de passer de la musique à la peinture. Quand je fais une toile, j’ai l’impression de faire un concert. À la fin je suis en nage, la sensation n’est pas du tout comme celle de composer une chanson en studio, mais très proche du live, je trouve.
“Je trouve que les pochettes contemporaines sont beaucoup plus techniques que créatives.”
Quel est ton regard sur l’expression artistique des pochettes de disque ? As-tu senti des évolutions au cours de ta carrière ?
En premier lieu, je trouve que les pochettes contemporaines sont beaucoup plus techniques que créatives. Elles sont souvent plus faites pour le marketing. Le support n’est plus le même que avant, bien que le vinyle revient à fond. À ce propos, si on met le téléchargement de côté, j’ai appris il y a quelques jours qu’aux États-Unis, les ventes de vinyles avaient dépassé celles du CD.
Ça veut dire que les pochettes redeviennent importantes comme dans les années 70 et 80. Il y a donc une amélioration en ce moment.
Pour mon prochain album, on rencontre beaucoup d’artistes pour trouver le bon concept artistique et je dois dire que c’est la première fois depuis longtemps que je repratique l’image musicale comme je l’avais fait à mes débuts. C’est un vrai retour aux sources par rapport à la création et ce qu’elle délivre.
Je me souviens quand j’étais môme, quand j’achetais un disque je ne quittais pas la pochette. Je lisais tous les crédits, je rentrais dans l’univers, regardais la date d’enregistrement, quels étaient les musiciens. Tout ça c’est perdu. Pendant plusieurs années, le marketing a mis plein de choses mais a viré tous les fondamentaux. Mais heureusement ça revient.
À quels niveaux tu interviens dans l’aspect artistique qui entoure tes projets ?
Je suis toujours producteur de mes créations, donc j’interviens à tous les niveaux. On se donne des thèmes avec la maison de disque, ensuite ils vont chercher et sélectionner différents artistes et après on décide ensemble. Avec Because, on n’a pas de divergences d’idées, de concepts. Quand on a des réunions avec Emmanuel de Buretell, il me pousse à revenir à ma manière de concevoir des années 1970, donc c’est très agréable. C’est un président de maison de disque qui est vraiment dans le créatif, et d’après mon expérience, c’est plutôt rare.
Tes pochettes portent-elles un message particulier ?
Je ne cherche pas à faire passer de message. J’essaie de trouver des créatifs de talent qui arrivent à transformer le vinyle pour que quand on l’acquiert, on le tient, on s’évade avec. Alors tu vas me dire, quel est le rapport entre Cerrone Paradise et une femme nue sur un frigidaire… Ce n’est pas obligatoirement un rapport de suite, c’est une image assez forte pour qu’on essaie de partir. Si les gens partent, ça veut dire qu’on les a captés, ils en interprètent eux-mêmes leur propre “Paradise”. C’est ça le véritable leitmotiv, ce n’est pas d’être le reflet de la musique, mais d’arriver à vendre un univers de trois quart d’heure, une heure. Ce n’est pas non plus de juste mettre une nana à poil, pour vendre.
“j’aime bien garder le même artiste pour la pochette et le concept du clip”
Tu as une carrière internationale. En fonction des pays, la culture de l’image musicale est-elle différente ?
Oui, il y a des différences. Par exemple, aux États-Unis c’est assez fou. Ils font dans le cul plus que n’importe quel pays au monde. Ils vont parfois te proposer des clips qui vont très loin, qui sont presque dérangeants et à la fois ils peuvent être très prudes. Dans mon dernier album Hysteria, comme c’était la grande période des samples, on avait pris trois photos qui s’autosamplaient. On avait fait un travail colossal sur ce projet, qu’on avait poursuivi dans le clip, et bien, les américains l’ont censuré.
Pour les clips, ça se passe comment justement, c’est une continuité du travail qui a été fait sur la pochette ?
Ça suit généralement une logique. Moi j’aime bien garder le même artiste pour la pochette et le concept du clip, même s’il n’est pas réalisateur.
Quelle est la pochette que tu préfères dans ton catalogue ?
Je ne le dirai pas… mais la plus folle est surement Supernature. Le texte pour l’époque était presque prémonitoire, très écolo. Je parlais de ce mélange entre l’animal et l’humain et j’avais trouvé un artiste, Perroquin, pour la pochette. Il m’a suggéré de trouver cette table d’opération et d’y mettre un écorché. Puis s’est ajoutée l’idée de mettre des humains avec des têtes d’animaux. La pochette était extrêmement puissante et on a décliné le concept dans le clip.
On retrouve la même typo sur beaucoup des pochettes, c’est devenu un logo ?
C’est une typo que j’avais fait faire par un anglais au tout début. C’est évidemment devenu un logo, ça c’est fait comme ça. À chaque fois que j’ai voulu changer que ça soit dans les maisons de disques ou les différents pays, tout le monde me disait “non,non, non, il faut garder le logo”, donc je me suis laissé allé. Aujourd’hui on va fêter 40 ans de carrière, alors pourquoi changer ?
Je pense qu’un artiste doit avoir un thème visuel pour vendre son apport musical et sur la longueur d’une carrière cette constance se ressent. J’ai plutôt suivi des artistes comme Santana, Chicago, une génération qui m’a marqué influencé, par leur continuité visuelle.
Pouvez-vous nous parler de votre dernière pochette ?
Pas du tout, on est dessus. il y a plein d’idées qui sortent mais il n’y a encore rien de concret.
Pour revenir à votre pratique de la peinture, quel est votre processus de création ?
Tout à l’heure je faisais un rapprochement avec le live, parce que sur scène, on joue les mêmes titres, mais il y a des paramètres comme le public qui entrent en jeu, donc chaque performance est différente. La peinture pour moi c’est la même chose. Quand je fais une toile, je fais un fond et quand il est sec, je m’équipe avec des palettes de couleurs et j’y vais, je me jette. Ce n’est pas prévu à l’avance. Le résultat peut être différent si je fais une toile quand il pleut, ou quand il y a du soleil, c’est du niveau du feeling.
La peinture t’apporte t-elle des choses qui te manquaient dans la musique ?
C’est complémentaire. C’est une expression artistique point. La musique est faite pour les oreilles, un tableau pour les yeux. Je ne veux pas faire d’amalgame, je vois cette nouvelle comme une continuité. Je ne veux pas non plus séparer les choses, je fais les deux, c’est arrivé sans calcul.
Aurais-tu envie d’intégrer d’une manière ou d’une autre, ta peinture dans ton projet musical ?
J’en sais rien. J’ai des propositions de peindre une toile qui serais l’objet de la pochette, mais je trouve pas que ça soit assez fort. Je veux continuer à m’associer à des talents créatifs qui m’amènent le vrai résultat auquel je n’aurai même pas imaginé. Ce n’est pas la même démarche et d’ailleurs je trouverais ça un peu prétentieux.
Déjà, je trouve que quand on fait une carrière artistique dans la musique, de mettre son nom en grand sur des 4 par 3, il faut déjà trimballer une certaine dose de mégalomanie, que j’assume. Alors de me mettre en plus en peinture, aujourd’hui je trouve ça au-delà du mégalo. Je préfère aller trouver des vrais tarés, capables de me trouver une idée folle pour la pochette et ses déclinaisons.
Propos et photos recueillis par Charles Loyer
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