Après ses études à Rennes et avoir été assistant label manager à Montréal, Guillaume Le Goff arrive à Paris et intègre le magazine de skateboard Tricks. Peu après, il est à l’origine de la création de Clark avec ses acolytes, dont Jonathan Choquel. À ce moment précis, le concept de street culture et de lifestyle apparaît dans les points de vente sélectifs en France.
Une scène jusqu’alors souterraine émerge grâce à ce nouveau média indépendant, graphique et éclectique. Ce nouvel étendard de la culture urbaine a notamment collaboré avec une multitude d’artistes aujourd’hui largement reconnus : Shepard Fairey alias Obey, Todd ‘Reas’ James, Parra, Mike Giant, Ed Templeton, Barry McGee, 123Klan, Ill-studio, So_Me, Akroe, Andy Rementer, Alex Trochut, PAM, Alife, Steven Harrington, et bien d’autres encore. Sans oublier les “mythiques” soirées Clark USR & Juice au Rex Club. Et on en passe.
En septembre 2010, avec la volonté d’écrire une nouvelle page dans son parcours et l’envie de développer d’autres projets, il quitte Clark après plus de 40 numéros publiés.
Un documentaire est actuellement en cours de réalisation sur Clark. Étapes a donc souhaité faire une rétrospective sur cet ancien magazine lifestyle de référence et l’un des pionniers de la street culture à travers une interview d’un de ses fondateurs et une sélection des meilleures couvertures.
Pouvez-vous nous présenter (de nouveau) Clark magazine ?
Guillaume Le Goff : En 2000, j’ai commencé à travailler pour Tricks skatemag. Peu après, on a créé Clark. L’idée était de créer un magazine qui ne se fait pas et qui est le reflet de notre génération 90’s, de tout ce qui nous passionne : musique, art, photo, skate, streetwear, etc. Enfin, tout ce qui faisait notre culture dite « underground ». Clark était un magazine unique en France. Aucun autre ne lui ressemblait, tant dans le fond que dans la forme. À part à l’étranger, Lodown qui était une référence pour nous.
Quelle était votre volonté à l’époque ?
G : Clark est né au sein du petit bureau de Tricks skatemag dans le 11e. On a sorti le premier numéro en 2001, je me souviens de la baseline, c’était “il n’y a que toi qui sais”, en référence à Clark Kent dans Superman, on voulait un peu faire passer un message dans le genre : « toi aussi tu peux être le superhéro de ton quotidien ». Un peu naïf, mais original et sincère… Notre but était de promouvoir la culture underground, l’ouverture d’esprit, l’échange, la découverte et bien plus. On se sentait super libre, si on trouvait un truc qui nous plaisait, on le mettait. L’éclectisme, c’était le mot d’ordre ! C’était aussi le premier magazine de street culture. À L’époque, on voulait voir dedans tout ce qui nous faisait vibrer, les Beastie Boys représentaient beaucoup l’esprit du magazine, on avait pour eux une forte identification. C’était notre ADN, un marqueur d’indépendance. On a grandi avec les pochettes d’album (du hip hop au rock en passant par le reggae, le funk, la techno…) et tous les visuels liés au skateboard qui sont des grosses influences dans nos vies.
Quel place accordiez-vous au design graphique dans le magazine ? Était-il un marqueur d’indépendance ?
G : Oui, il n’avait pas le même contenu mais il n’avait pas la même forme non plus. L’aspect graphique était ultra présent ! Tout ce qui était design et graphique était important, et tout ce qui était visuel aussi. C’était en cohérence avec le contenu atypique, ça favorisait notre différence ! On avait un parti pris esthétique très fort. Nous avons eu différents graphistes D.A. : Jérôme Hervé, Veenom et Fake. Ils faisaient aussi la mise en page du magazine, la typo, le graphisme et les flyers des soirées au Rex. Pour la couverture, c’était les artistes de chaque numéro qui faisaient la couverture, c’était ça le deal. Ils font la couverture et nous on leur apporte de la visibilité. En 2005, on a vécu un nouvel envol du mag grâce à une nouvelle formule, où j’ai repris totalement la rédaction en chef, à des couvertures toujours plus graphiques, un contenu encore plus orienté « street culture » et aussi nos partenariats, avec notamment la librairie The Lazy Dog et la marque Sixpack France. C’était vraiment un réseau de création et Clark était un peu le porte drapeau d’une nouvelle scène.
Pour l’esthétique de Clark, on se nourrissait toujours de plein de choses : une certaine culture graphique, une volonté de sortir de l’ordinaire, mais aussi le streetwear, les sneakers, le cinéma, la musique, la culture skate, la mode ou bien l’art contemporain. Pas de limites, on s’intéressait à tout, notre démarche était assez éclectique. On voulait que les gens qui aiment des cultures différentes se retrouvent dans notre magazine.
Exposition de Parra à The Lazy Dog,
En partenariat avec Clark,
2006, Paris.
Sixpack X Clark,
Édition 2006.
Quelle est votre vision de la « street culture » ? Que pensez-vous de la scène actuelle ?
G : C’est avant tout un mouvement, un état d’esprit cristallisé par le skateboard, le graffiti, le hip-hop, les fanzines, les nouveaux labels et marques indépendantes. C’est toute la scène créative des années 90 et 2000. Le reflet d’un lifestyle, de nos vies, de nos passions. La motivation, c’est clairement la contre-culture, l’indépendance ! Pour Clark, c’est faire la différence dans la presse et l’information en général. Une certaine révolution médiatique où les graphistes sont eux aussi totalement libres. Désormais, c’est un peu devenu un business, plus opportuniste et calculé. Il y a d’autres convictions on va dire. Mais c’est bien, dans le sens où il y a eu quand même une évolution. À l’époque, on voulait montrer que si on gratte un peu la surface des choses, il y a un monde incroyable et excitant. Clark donnait des pistes, faisait “tripper” les gens et les poussait à fouiller.
Êtes-vous nostalgique de cette époque ? Si oui, pourquoi ?
G : Non, pas vraiment de nostalgie, mais plutôt un bonheur, une fierté d’avoir fait tout ça ! La couverture qu’on avait faite avec Barry McGee en 2009 était pour moi un sommet, une de mes plus grandes fiertés. J’ai peut-être, oui, un pincement au cœur quand je repense au fait d’avoir dirigé un magazine qui défrichait pas mal de sujets, qui avait de nombreux fans et lecteurs partout en France et à l’étranger, la confiance des marques “nouveau public” et les kiosques qui te distribuent, nos grosses soirées au Rex et un peu partout. Enfin, un mag où tu as carte blanche et qui fait des ventes, c’était formidable ! On s’est éclatés, on a beaucoup voyagé, beaucoup fait la fête, on a rencontré des artistes référents qui sont devenus des amis… Tellement de bons souvenirs avec Clark !
Soirée Underground Super Hero au Rex,
12e édition.
24e édition,
En référence au premier documentaire éponyme sur les sneakers sorti en avril 2005.
Collab entre Clark, Alife NYC et Non Sans Raison (porcelaine de Limoges), 2008.
Comment se déroulait le choix des artistes en couverture et pour le contenu du magazine ?
G :On choisissait un artiste qu’on aimait, on le contactait et le deal, c’était qu’il fasse notre couverture. Le choix était très libre. C’était aussi des convictions, on savait qui il nous fallait et qui on aimait. L’idée était d’avoir des artistes à faire découvrir, des portfolios et d’autres découvertes qui reflètent un état d’esprit. On avait le parti pris d’avoir en couverture des artistes alors plutôt méconnus et graphiques. Si on reprend toutes les couvertures, on peut trouver certaines qui ont plus ou moins mal vieilli, tout comme des contenus, mais aussi beaucoup qui sont intemporels(lles). Des classiques. Tout ça n’a pas été fait que pour vendre des exemplaires, ça a été surtout un engagement.
Quelles couvertures vous ont-elles le plus marquées ?
G :Toutes! Mais s’il faut choisir, je dirais : Parra, Steven Harrington, la Teki Latex par Akroe, Andy Rementer, Todd James, Barry McGee, So_Me x Dj Mehdi x Kourtrajmé, Alife, marque new-yorkaise avec qui on avait fait une collaboration sur de la porcelaine de Limoges… Et bien sûr, la Beastie Boys.
Quelle est votre activité actuelle ?
G :Je m’occupe de différents clients et projets : notamment la maison d’édition Drago (JR, Obey, Ed Templeton, Boogie…), que je représente à Paris et pour l’international. Je fais pas mal de consulting et j’écris aussi régulièrement pour différents magazines (Lodown, Sport & Style, Fisheye…). Le plus important pour moi : rester dans les domaines créatifs que j’aime, travailler avec des gens que j’apprécie et conserver ma liberté !
Que pensez-vous de la scène actuelle du design graphique ?
G : Je trouve qu’il y a des choses très normales mais aussi du très excitant. Avec le design graphique, c’est comme pour le reste, si tu te donnes la peine de creuser, tu peux trouver plein de choses dingues actuellement ! J’aime toujours beaucoup ce que font les ill-studio, Alex Wise, KoolFunc88, Jad Hussein, Nicolas Malinowsky, le team Etudes ou des jeunes comme Golgotha ou le studio Untitled par exemple.
Pouvez-vous nous parler de votre futur, de vos prochains projets ?
G : C’est marrant, à la faveur des cycles, et sans doute parce qu’il y a un peu de nostalgie, et clairement une absence aujourd’hui dans ce domaine, on me reparle beaucoup de Clark en ce moment… On me dit « pourquoi tu ne remontes pas Clark ? » Ça serait drôle, et sans doute viable. Mais ça serait aussi beaucoup de travail, d’investissement. Pour les projets, j’organise avec des amis un événement pour fin septembre prochain qui s’appelle le ‘Paris Surf & Skateboard Film Festival’ au mk2 Bibliothèque. Je suis aussi en train de rédiger sur un petit essai sur la street culture et je finis d’écrire un film documentaire sur l’influence du skateboard sur des personnalités créatives influentes aujourd’hui. Et avec Drago, on a plein de supers projets pour la rentrée et la fin d’année : le livre ‘The Night Day’ du photographe Keffer, celui du plus gros photographe du Hip-Hop américain Chi Modu et la première anthologie de la Street Photographie ‘The Street is Watching’. Comme tu le vois, pas de quoi s’ennuyer !
Autres couvertures marquantes :
Linus Bill, par Stefan Marx
#22
“Tout ça n’a pas été fait que pour vendre des exemplaires, ça a été surtout un engagement.”
Pour en savoir plus sur Guillaume Le Goff :
www.guillaumelegoff.com
Propos recueillis par Nicolas Roche.
http://etapes.com/system/51772/large/1463586711.JPG
Sortie du numéro spécial Alife à Colette,
Septembre 2008.
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