Se réapproprier la ville, partager la culture, développer un esprit critique, remettre en question ce que la société nous impose et explorer des moyens de préserver nos libertés en tant que citoyen, sont autant de thématiques sur lesquelles Geoffrey Dorne travaillent depuis maintenant plusieurs années.
Grâce à une veille permanente, le designer français fait régulièrement part des nombreuses solutions qu’il découvre sur son blog Graphism.fr. Aujourd’hui, il s’apprête à publier un livre, accompagné par le studio d’édition Tind : Hacker Citizen. Cet ouvrage, initié il y a deux ans, regroupe 50 techniques DIY pour pirater la ville. Le projet s’annonce passionnant et, avant même sa parution, bénéficie d’un large succès auprès de différentes communautés (la campagne Kickstarter a déjà dépassé les 30 000€).
En attendant de pouvoir tourner les pages de ce livre, nous avons demandé à Geoffrey Dorne de nous en dire un peu plus sur son contenu et de nous éclairer sur cette notion de piratage citoyen.
Page Kickstarter du projet : http://kck.st/1XRdDlc
Design & Human : http://designandhuman.com/
Studio d’édition Tind : https://tind.fr
Quand est-ce que tu as débuté ce projet et comme t’es venue l’idée de développer ce thème Hacker Citizen ?
L’idée originelle de cette ouvrage est née lorsque j’étais encore étudiant à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris (ENSAD). Passionné depuis longtemps par le lien fort entre hacking et design et en plein projet de diplôme, je me lançais alors dans la réalisation de prototypes anti-surveillance. Nous étions à l’époque dans les débats sur la loi Hadopi et j’ai ainsi réalisé plusieurs objets et prototypes comme un bonnet infrarouge qui pouvait éblouir les caméras de surveillance, un portefeuille pour protéger ses cartes RFID, un générateur d’identités aléatoires mais aussi une clef USB anti-hadopi. Autant de projets qui m’ont donné l’occasion de structurer ma pensée et d’aiguiser aussi mon regard sur une forme de design politique. Le temps a passé, les idées ont mûries, (moi aussi, un peu), elles se sont développées, cumulées et j’ai également suivi les projets de différents artistes, plasticiens, designers qui ont fait de ce domaine leur spécialité. Toutes ces idées, je me suis alors dit qu’il fallait les mettre en regard, les comprendre, les rassembler. C’était il y a deux ans que j’ai commencé à imaginer ce livre.
De manière générale que signifie pour toi “la ville” et pourquoi devons-nous nous la réapproprier ?
Étymologiquement, on peut rappeler les mots de “urbs”, la cité des Romains et de “polis”, la communauté géographique et politique pour les Grecs. Ces deux notions sont à mes yeux fondatrices puisque nous naviguons depuis toujours entre deux eaux, entre le vivre ensemble et l’individu, entre les notions de biens publics et de biens privés. Le vivre-ensemble réside dans cette tension et cet espace infra-mince que la ville instaure. Ensuite, si on prend le temps de lire ou d’écouter Bernard Stiegler, Michel Bauwens, Michel Serre ou encore Michel Maffesoli, on comprend assez qu’il y a des milliers de façons de “faire société” et ainsi d’imaginer et de réaliser ce que cela veut dire. À mes yeux, se réapproprier la ville est une façon de refaire société, autrement dit, de construire l’individu à son échelle (se construire, s’accomplir) mais aussi à l’échelle du monde, de soi par rapport au monde, par rapport aux autres. La ville est une des nombreuses facettes du monde, c’est celle que j’ai choisi d’aborder au travers de cet ouvrage.
Le piratage est souvent perçue d’une manière négative, qu’est ce qui distingue le piratage citoyen ? Y a-t-il des limites à vouloir déjouer les systèmes ?
Même si chacun a sa propre définition du hacker, il est fréquent de retrouver l’image du pirate informatique solitaire (je suis fan des films de hackers ceci dit). Les ponts entre cette culture du hack et le design me fascinent car le design questionne la notion de “dessein”, de projet. Cette vision du hack citoyen réside pour moi dans l’usage que l’on fait de ces détournements, de cette réappropriation de sa rue, de son quartier, de sa ville. L’idée du livre est tout d’abord d’observer autrement son environnement, de la ville, aux citoyens à leurs usages… pour ensuite agir à dessein. Même s’il ne faut pas systématiquement déjouer les systèmes (on peut les rendre plus performants, les rendre plus poétiques, plus drôles, les perturber, les signifier, etc.) il y a bien évidemment des limites que chacun peut rencontrer. Pour ma part, cela réside dans les valeurs humaines et citoyennes, dans la légalité, la volonté de construire, de bâtir et d’avancer plutôt que de détruire pour créer uniquement le chaos.
Peux-tu nous parler de quelques techniques présentées dans ce livre ?
Parmi les thématiques abordées dans le livre, je souhaiterai en citer deux qui se développent particulièrement. La première c’est la surveillance et les actions qu’il est possible de faire pour aller à son encontre. On ne se comporte pas de la même façon lorsque l’on se sent écouté, épié, filmé. Dans le livre, sont présentés différents projets à faire soi-même dont par exemple un t-shirt qui brouille les algorithmes de reconnaissance faciale, un système qui protège ses cartes à puce RFID. On peut également expérimenter l’effet de la lumière infrarouge sur les caméras de surveillance par exemple. Un second thème assez important à mes yeux, c’est l’écologie et le retour de la nature au sein de la ville. En Norvège par exemple, ce sont des actions que les municipalités mettent en place régulièrement. À Paris, il y a eu des concertations citoyennes avec par exemple le projet Réinventer.paris ou encore les projets du Grand Paris. Dans le livre, on retrouve un projet de création de nid urbain pour faire revenir les oiseaux (les moineaux, les gobemouche gris ou encore les fauvettes…) qui quittent les villes suite à la destruction de leur habitat ou encore un projet de petites bombes de graines à lancer dans les endroits les plus inaccessibles afin d’y faire pousser des plantes. Bien sûr le livre aborde aussi d’autres sujets comme le partage, la culture, la publicité, etc.
Doit-on avoir un certaines compétences pour pouvoir les appliquer ?
Le livre essaye d’être le plus simple possible avec les matériaux les plus accessibles possibles. Certains hacks sont vraiment minimalistes et ne résident pas dans la construction technique mais plutôt dans l’intervention situationniste. Pour d’autres, il faut faire preuve d’ingéniosité et vous pourrez parfois les modifier, les adapter les détourner, les remixer… Bref, les hacker 😉
Si on souhaite en savoir plus sur hacking citoyen et ses applications, où peut-on se diriger (site, évènement…) ?
Pour l’instant, tout est sur le site de la campagne Kickstarter.
Et sinon sur mon article de blog, Le livre Hacker Citizen.
+ - Commentaires 0