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mercredi 24 avril 2024
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Les diables au corps de Maïc Baxane

L’univers de Maïc Baxane est peuplé de figures hybrides, autant monstrueuses qu’humaines. Illustratrice nourrie par l’esthétique camp et les cultures féministes et queer, elle travaille à resignifier symboles et imaginaires dans des teintes vives et franches. Sérigraphies, risographies, papiers découpés, collages sur mur et pastels…, sa pratique artistique multiple donne vie à des créatures mythologiques queer et déploie une joie lumineuse.

Dans le cadre du prochain numéro d’étapes:, le 271, à paraître en librairie le 21 février et actuellement en précommande, nous publions un article en lien avec notre dossier spécial « Illustration française ».

Figures incarnées et symboles

Diplômée en 2007 de l’École des Arts Décoratifs de Paris en section Images imprimées, Maïc Baxane est graphiste et illustratrice. Après un premier travail salarié en tant que graphiste, elle se lance en indépendante et développe aussi un travail d’illustration nourri de son implication dans les communautés féministes et queer, de son intérêt pour le mouvement Do-It-Yourself, ainsi que pour les pratiques d’auto-édition. “Mon travail de l’image est influencé par ma formation en design graphique : je me revendique de l’illustration, mais je donne à voir des signifiants forts, une démarche liée à celle de l’affiche” précise-t-elle. Dans ses différentes illustrations, se déploient des figures incarnées et hybrides : corps-aliens, troisième œil, Ève, Méduse, vulve en forme de gueule de chat ou de laquelle s’extrait un serpent… Ces symboles proviennent souvent de mythologies et de films de la culture dominante que l’illustratrice se réapproprie, déplace et resignifie en faisant appel à la culture camp. Maïc Baxane travaille d’abord sur feuille, à l’encre et aux feutres Posca, en noir et blanc. Puis, elle scanne ses dessins pour pouvoir les travailler à l’ordinateur. Après un nettoyage de l’image, elle la colorise. Ses teintes sont vives, pop, presque fluorescentes. Formée aux techniques d’impression, elle réalise des sérigraphies ou encore des risographies. Elle pense ainsi dès le départ ses images en termes de couches et en nombre de couleurs et crée aussi des figures avec des papiers découpés au laser.

Représenter ou resignifier ?

“Je m’attache à détourner des symboles déjà existants. J’interroge l’enjeu de la représentation et de la visibilisation des personnes, des corps, et des vécus des minorités, de genre notamment. […] Grâce aux figures que je détourne, je réalise un pas de côté par rapport au registre de la représentation : mon travail relève de l’imaginaire. Je propose des images dans lesquelles il est possible de se projeter en tant que femme, en tant que personne queer, en tant que personne qui interroge, de fait, par son vécu, les normes” affirme Maïc Baxane. Face à la difficulté de représenter ces minorités de manière exhaustive – ce qui relève de l’impossible –, et face au risque de parfois de reproduire des stéréotypes, l’illustratrice choisit la voie de l’imaginaire et crée des “créatures mythologiques queer”. Elle réalise aussi des collages muraux, comme sur l’un des murs adjacent à la Mutinerie et appartenant au lieu — un bar queer et féministe situé dans le troisième arrondissement à Paris. Son collage, une vue en contre-plongée d’une personne à vulve en forme de gueule de félin, intitulé “Vagina Dentata”, et sur lequel est inscrit “Abortion rights are human rights”, est retiré dans la nuit par les forces de l’ordre. À l’invitation de l’association Boitaqueer, de promotion et de diffusion d’œuvres propres à la culture queer, Maïc Baxane investit aussi six mètres de baie vitrée du café associatif Le Moulin à Café, dans le quatorzième arrondissement de Paris. Êtres à cornes assoiffés, à cheveux faits de serpents ou encore de plumes, s’invitent dans l’espace public. Elle participe à plusieurs salons comme le salon Vendetta, du multiple et de la microédition, à Marseille, DIY or DIE à Lyon, Macules et Conception à Bourges, Fais-Le Toi-Même à Lille ou encore la Queer Zine Fair à Paris. Son travail est exposé au Frac Picardie. Maïc Baxane organise aussi régulièrement à la Mutinerie le “Sale Art Salon”, salon d’auto-édition, d’images et de zines.

La lumière du pastel

Maïc Baxane développe aussi à présent une pratique du pastel gras : elle commence par réaliser des autoportraits aux couleurs fluo. Elle explore la représentation des corps dans sa frontalité, à travers des formats variés allant de 10 x 15 cm à un A3. L’artiste débute une série représentant des personnes urinant dans l’espace public – aux regards parfois frondeurs – à partir de photographies qui lui sont envoyées suite à un appel à images. “L’urine est un fluide politique, comme nous le rappelle l’incessant débat qui entoure la question de l’accès aux toilettes publiques genrées des personnes trans, et ses modalités de productions sont strictement réglementées par les normes de genre” affirme-t-elle. Quels sont nos vécus dans l’espace public et comment nos corps peuvent-ils l’habiter ? “J’avais envie de mettre de la joie dans mes pastels. Notre rapport au monde n’est pas uniquement constitué par différentes formes d’oppressions, et de souffrance, mais il est aussi traversé par une forme de liberté et de joie” précise-t-elle. Maïc Baxane travaille la couleur et une lumière chaleureuse, une manière peut-être, pour l’artiste, de célébrer nos agentivités et la joie d’exister… sous un soleil éclatant d’après-midi…

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