Dans le monde de Marion Pinafflo, Raphaël Pluvinage et Agnes Agullo, papier et machine se retrouvent pour ne former qu’un. Ces deux anciens de l’ENSCI se sont lancés dans une expédition à la recherche des mystères qui se cachent derrière les formes de l’électronique. Le projet baptisé Papier Machine, peaufiné au cours des trois dernières années, a de l’allure. Il est aujourd’hui un cahier rassemblant une famille de 6 jouets électroniques en papier, prêts à être coupés, coloriés, pliés, assemblés ou déchirés.
L’expérimentation s’invite également dans la réalisation, avec des motifs sérigraphiés et des circuits électroniques, imprimés avec des encres aux différentes propriétés électriques. Ces jouets, pour enfants comme pour adultes, n’ont pas pour vocation à apprendre comment fabriquer un Gyroscope, un interrupteur, ou encore une piste de lecture, mais plutôt de découvrir par le ludique, les secrets de la magie qui se cachent à l’intérieur de nos machines. Il y a des matières, des formes, des couleurs, des histoires et même des odeurs !
Nous avons rencontré au mois de novembre Marion et Raphaël pour évoquer avec eux l’histoire et les détails de ce projet passionnant. Aujourd’hui en phase de lancement, Papier Machine fait l’objet d’un financement participatif sur Kickstarter. La campagne se clôture dans trois jours, l’occasion idéale pour partager avec vous les propos de ses créateurs.
Suivre le projet Papier Machine :
Site internet : https://www.papiermachine.io
Page de la campagne Kickstarter : http://kck.st/2oadU4J
Instagram : @papierpiermachine.io
Pouvez-vous nous rappeler la genèse de Papier Machine ? Du projet étudiant à l’expo aux arts déco jusqu’au lancement du financement participatif sur Kickstarter ?
Marion : Nous venons tous les deux de l’ENSCI. J’ai été diplomée en 2013 et Raphaël en 2015. Papier Machine est le projet de diplôme de Raphaël sur lequel je l’ai accompagné en coulisse.
Raphaël : Le point de départ du projet vient d’une curiosité de regarder ce qu’il se passe à l’intérieur de l’électronique, à l’échelle microscopique. Nous nous posions la question de savoir ce qu’il y avait derrière un composant. En découvrant les matériaux, les réactions chimiques ou physiques, nous nous sommes dit qu’il y avait matière à exploration.
Papier Machine, dans sa version première était donc un diplôme. Pour le passer, nous avions fait une première série, un prototype avec beaucoup de points de perfectionnement, notamment graphique.
Après le diplôme, nous avons laissé un temps de 6 mois pour passer à autre chose. Puis nous nous y sommes remis à l’occasion d’une résidence en Nouvelle Zélande pour Media Artist. Nous avons alors développé différentes idées et commencé à initier la matérialisation par des grands formats. Ces grands formats nous ont conduit à nous dire qu’il y avait aussi matière à explorer à l’échelle du papier et de l’espace.
M : Comme la Nouvelle Zélande est un pays de textile, il y a énormément de machines d’impression pour travailler ce type de produits. Ça nous a beaucoup aidé pour initier ces grands formats. Nous avons travaillé avec des encres conductrices qui se cuisent et nous avons expérimenté des tunnels de séchage. Pendant cette période, nous avons eu un accès privilégié à ces outils. Une fois qu’on est revenus en France, les choses nous ont paru un peu plus compliquées.
R : Pour appuyer le développement final de ce projet, après notre résidence en Nouvelle Zélande, il nous fallait être accompagnés par une bourse ou un prix. Nous avons obtenu la bourse des Audi Talents Awards qui nous a permis d’avoir un an de financement pour amener Papier Machine jusqu’à un projet d’expo. Ça nous a séduit de devoir mettre le projet entre les mains des usagers. Pour nous ça fait partie du test. La phase de préparation a été longue et intense et avant l’exposition aux Arts Décoratifs, nous n’avions pas du tout l’idée de faire un produit, pensant que c’était top expérimental en terme d’impression.
M : Mais au fur et à mesure du projet, nous avons aussi rencontré des industriels intéressés de développer ce type de choses à plus grande échelle. Les retours du public ont été aussi très positifs. Nombreux sont ceux qui ont manifesté l’envie d’y jouer vraiment et de ne pas considérer l’objet comme une simple chose à regarder ou une expérimentation plastique. Ces retours nous ont amené à se reposer des questions, puis à monter une équipe pour lancer le projet sous la forme d’un kit de jouet.
R : Depuis nous sommes dans une phase de peauffinage et développement. On redessine certaines choses, on retravaille le format, on échange avec des imprimeurs traditionnels qui font de l’offset, avec d’autres spécialisés dans l’électronique imprimée pour l’industrie. C’est amusant car ce sont deux mondes totalement différent.
Aujourd’hui, Papier Machine est un studio, un produit, une marque de fabrique ?
M : À terme, on a envie que Papier Machine dépasse le stade de projet. Avec Agnès, la troisième personne qui nous a rejoint, on aimerait devenir une sorte de maison ou de marque pour faire d’autres projets sur le même principe.
R : Ce n’est pas un studio parce qu’on a vraiment envie de continuer à faire d’autres projets en parallèle. En revanche, nous nous rendons compte que nous avons plusieurs projets qui ne sont pas nécessairement dans la même veine que l’électronique, mais toujours dans ce spectre du jouet, de l’objet à manipuler pour donner des pistes de compréhension de notre monde. Finalement on se dit qu’on n’a jamais trouvé l’éditeur parfait pour faire ça, donc on souhaite pouvoir créer une sorte de maison pour des projets d’éditions dans ce genre.
Entre la phase de recherches et la phase de commercialisation, avez vous du réorienter le projet sur certains axes ?
M : Je pense qu’au niveau du discours on ne réoriente pas mais on a simplifié des choses. Côté technique, il y a beaucoup de découpe de papier et de pliage. Le défi est que ça soit facile à monter pour l’usager, sans simplifier le dessin non plus.
R : En fait la difficulté de ce type de projet vient du fait que le résultat à l’air hyper simple. Mais ça, c’est la façade quand tout marche très bien. En fait quand on regarde le papier, tous les mécanismes de pliage sont complexes. Il faut tester, retester. Si le papier change de grammage, le pli ne marche pas, il faut donc accorder les circuits électroniques à ce pli. C’est simple à regarder mais derrière il y a un réel process’, beaucoup de tests et d’itération.
Il y a aussi des choses que nous redessinons un peu, car on est jamais complètement satisfait et on veut toujours affiner des choses. Le défi était de ne pas rendre les choses plus enfantines. Des boites d’édition de jouets nous ont dit qu’il fallait que le kit s’adresse plus aux enfants, d’avoir des éléments figuratifs, des animaux… Nous on voulait le lancer tel quel, être exigeants, garder notre écriture graphique. Nous aimons bien l’idée de se dire que c’est un jouet qui peut s’adresser aux enfants ou aux adultes. Les formes peuvent être abstraites et l’enfant s’imaginer ce qu’il veut. C’est pour ça qu’on ne s’est pas lancés avec un éditeur de jouets. On s’est dit qu’on n’arriverait pas à s’aligner sur leurs contraintes, sans dénaturer le projet.
Le projet Papier Machine comprend 13 interactions. Comment avez-vous procédé pour les choisir ?
M : Dans la première version du kit, nous allons faire la moitié des interactions que nous avons explorées. On garde celle autour du moteur pour plus tard.
R : On a voulu mettre en avant les interactions dont la représentation et le mécanisme sont aboutis. Les jouets moteurs paraissent très simples, mais demandent des exigences complexes au niveau de l’aérodynamisme. Le moteur posé sur un fil ne doit pas trop frotter. Si on fait varier sa taille, il se met à freiner ou avancer. Les jouets dont l’ingénierie est complexe, nous les mettons de côté pour plus tard, peut-être pour un cahier spécial.
M : Donc on fait 6 premières interactions.
R : Pour concevoir ces interactions, il y a une approche systématique. On a pris tous les capteurs et tous les composants électroniques qui existent, et observé au microscope comment ils fonctionnent. C’est magnifique comme exploration mais il n’y a rien de magique. Dans un gyroscope, par exemple, se cache une vraie architecture invisible, des pièces physiques viennent se déplacer. Ensuite, on part du principe de ce composant en essayant d’en faire un jeu, de ne pas concentrer l’attention sur l’aspect physique.
Pouvez-vous nous parler d’une interaction en particulier ?
M : Le capteur d’humidité est un bon exemple car il se trouve dans tous nos téléphones portables et son principe est extrêmement simple. Il y a une branche plus, une branche moins, et les deux sont entrelacées, sans se toucher, comme si on avait deux peignes. Quand le taux d’humidité augmente, le papier qui est entre ces deux peignes prend un peu l’eau et ainsi augmente ou diminue la quantité de courant qui passe. Nous aurions pu faire un jeu avec un capteur d’humidité sur papier. Mais nous nous sommes dit qu’il était plus amusant de le faire à travers un jeu de fléchettes, que l’eau pourrait arriver sous formes de boulettes de papier mâché. Nous jouons avec le mélange des références. La volonté de vouloir dessiner une expérience à la fois belle à regarder et belle à jouer, tout en regardant les mystères qui se passent dans l’électronique. Nous avons cherché des manières de jouer intuitives. Qui font appel à des choses qu’on a l’habitude de faire. Les boulettes de papier mâché rappellent les souvenirs d’école.
Pourquoi le choix de montrer l’électronique via le prisme du papier ?
M : Déjà d’un point de vue pratique, nous pouvions le travailler seul, faire nous mêmes les maquettes, expérimenter la sérigraphie. Le papier, nous sommes habitués à le plier, à le découper en morceaux, le déchirer. Les jeux découlent de la nature des composants, mais aussi des possibilités de manipulation offertes par le papier.
R : C’est la rencontre des deux qui marche bien.
Nous utilisons de l’électronique sans la comprendre et apprenons dans les livres sans forcément avoir l’aspect matériel. Papier Machine fait le pont entre l’objet et le savoir, réinvente l’utilisation du papier ?
M : Oui, mais il y a aussi un côté très quotidien avec le papier, ça n’effraie pas les gens. Finalement le papier est assez naturel.
R : On ne s’en doute pas forcément mais le papier est très riche en interactions, même en terme de mécanique, c’est assez évolué. Il y a un tas de choses qu’on ne pourrait pas faire avec du plastique. Notre idée est de mélanger deux mondes dans le même jouet sans tomber dans le ludo éducatif. L’objectif premier est de jouer et non de comprendre l’électronique. Sinon il y a déjà effectivement plein de livres ou méthodes pour ça. Notre ambition est que nos jouets rendent les gens curieux.
L’utilisateur est-il guidé dans l’utilisation de ces jouets ?
M : Pour l’expo, nous avions été un peu avares d’explications, mais dans le kit nous délivrons un vrai mode d’emploi pour le montage.
Comment avez-vous déterminé la partie graphique ? Cela vient de vos observations au microscope ? vous vous êtes fait plaisir ? Il y a des codes dans les couleurs qui amènent des informations sur le fonctionnement ?
R : Les parties rouge bleu et vert, sont non fonctionnelles, en revanche la partie argent a été l’objet des discussions et des débats. Est-ce que le circuit d’argent doit se limiter simplement à sa fonction ? Tout le défi du tracé de ces circuits est d’avoir un résultat fonctionnel et décoratif. Car on ne voulait pas que la partie esthétique cache la fonction. Il y a donc un juste équilibre.
M : Nous voulions aussi sortir du côté basique des circuits électroniques, sortir de ce langage graphique. Finalement, ce n’est qu’une histoire de plus et de moins qui ne doivent jamais se croiser. On ne verra jamais un arrondi sur un circuit. Il n’y a que des angles a 45° ou des angles droit.
R : Nous avons tout de même déterminé des règles graphiques pour préserver le fonctionnel. Tous les circuits ont la même épaisseur, même si ils sont doublés ou triplés. Cela découle de la fonction car, l’épaisseur est ce qui va définir la résistance de notre circuit. On ne voulait pas aller dans des épaisseurs trop fines, de peur que le circuit ne marche pas, c’est devenu par la force des choses notre langage graphique.
Quelles sont les spécificités du travail à l’encre conductrice ?
M : Il y a des contraintes au niveau du support. Il faut que la surface soit la plus lisse possible.
R : Quand il y a des plis, il faut faire en sorte qu’ils ne soientt pas trop marqués, ou bien travailler avec des encres plus ou moins flexibles. Dans les posters, nous explorons la superposition des couches. Une encre de couleur n’a a priori pas de fonction. Mais en fait si, car elle n’est pas conductrice. Elle peut donc servir d’isolant entre deux couches. Sur les très grands posters, sur la cible par exemple. Il y a une zone qu’il faut viser avec les boulettes de papier et si on tombe à l’endroit ou le circuit est justement marqué par une encre de couleur, ça ne marche pas.
De manière générale, dans l’industrie de l’électronique imprimée, ils utilisent des encres spécifiques, explorent ces questions de superposition de couches pour faire passer ou non le courant. Dans l’imprimerie classique, la superposition est utilisée de manière très différente. En sérigraphie, l’impression des couleurs va produire des effets différents si on place un rouge ou un vert devant ou derrière, par transparence ça ne produit pas le même effet. Avoir ces discussions à la fois dans ces deux mondes est passionnant, d’autant que le savoir-faire industriel est souvent invisible.
Avez-vous des projets pour aller au delà du jouet et de développer le principe sur d’autres supports ?
M : Le jouet est pour le moment une piste d’expérimentation qui nous permet d’explorer plein de chemins sans se dire quelle va être la fonction etc… Quand on aura bien avancé sur Papier Machine, on pourra alors peut être en faire des objets ou d’autres choses. On aura acquis un savoir-faire qu’on pourra mettre en œuvre si l’opportunité se présente. On n’a pas encore vraiment creusé ces pistes.
Comment trouver l’équilibre temps-financement, quand on se lance dans ce type de projet ?
M : Ce qui est génial avec le diplôme en école est qu’il t’offre le temps de pousser un projet personnel, temps que l’on trouve difficilement après. Ce temps d’école a donc été très bénéfique pour se lancer. La résidence a aussi été bénéfique pour nous accorder à la fois du temps et de l’argent, sans être dans l’urgence de trouver des boulots à droite à gauche.
R : Quoiqu’il arrive ce type de projets demande des sacrifices financiers. Je pense qu’il est impossible de faire financer un projet d’exploration personnelle tant qu’il n’est pas commencé. Les premières recherches et avancées doivent s’autofinancer. Les bourses et résidences dont nous avons bénéficié n’arrivent que dans un second temps, quand le projet est relativement établi. C’est malheureux mais il est difficile d’avoir du financement au simple stade d’idée, surtout quand le travail se base sur l’expérimentation.
Quand nous avons lancé le projet, nous ne pensions pas en faire un cahier de jouets électroniques. Nous sommes partis d’une observation, avons bidouillé des choses, testés d’autres, puis ensuite est venu d’en faire une exploration plastique. Il faut donc se trouver du temps perso à investir pour ensuite bénéficier des opportunités de financement. Il n’y a pas de solution parfaite, ni de prix, résidence ou bourse, sans un investissement au préalable.
Un mot pour conclure ?
R : Ça nous plaît d’être à la croisée de différents mondes. De faire des projets en action, de créer des expériences et de faire plaisir aux différents publics. Nous aimons cette idée d’imaginer des mécanismes qui puissent conduire à porter un regard un peu décalé sur des choses qui nous entourent, la technologie, la science, l’électronique, sans pour autant avoir la prétention de dire que nous allons les expliquer.
Propos recueillis par Charles Loyer
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