Rencontre avec Silvia Dore, présidente de l’Alliance France Design

Seul syndicat de designers en France, l’Alliance France Design a pour objectif la défense des intérêts de la profession. Silvia Dore, designer graphique et co-fondatrice du studio stereo buro, a récemment été nommée présidente de l’AFD. Elle succède au designer François Caspar. Silvia Dore œuvre notamment pour une meilleure structuration des marchés publics. Dans le cadre de sa présidence, elle ambitionne de donner plus de visibilité au travail du syndicat. Elle développe aussi les actions pédagogiques de l’AFD. Silvia Dore souhaite mieux former les designers et notamment les jeunes designers aux enjeux juridiques, éthiques du métier et donner accès à une compréhension claire de l’écosystème du design. Rencontre.

Sivlia Dore.

Isaline Dupond Jacquemart : Silvia Dore, quelles sont vos différentes activités ?

Silvia Dore : Je suis designer graphique. J’ai co-fondé avec Diane Boivin le studio stereo buro. Nous travaillons principalement pour le secteur culturel et institutionnel. J’enseigne également à l’Université à Strasbourg, au Campus Fonderie de l’image et à l’ENSCI. J’interviens aussi à l’ÉSAC Cambrai : j’apprends aux étudiant·es à bien répondre aux appels d’offres et je leur explique la façon dont fonctionnent les marchés publics. J’ai aussi mené des recherches pratiques et théoriques au laboratoire EnsadLab à l’École des Arts Décoratifs de Paris sur la manière dont le design graphique peut être un facilitateur d’échanges et de débats au sein de notre société. Je suis aussi à présent présidente de l’AFD, l’Alliance France Design, seul syndicat de designers français.

IDJ : Comment êtes-vous devenue présidente de l’AFD ?

SD : L’année dernière, j’ai organisé l’exposition et les rencontres “Point Commun” à l’AFD avec Romain Diant, designer et membre du conseil d’administration du syndicat. Nous avions pour objectif d’ouvrir un débat, de créer du lien entre les acteurs principaux du design et ceux qui le construisent : promoteurs, sociologues, etc. Nous avons exploré quatre thématiques : le care, les ressources, les territoires et les communs. Nous avons souhaité imaginer un futur commun et mieux définir le rôle du designer au sein de celui-ci. Suite à cet événement, le conseil d’administration et notamment François Caspar, alors président du syndicat et actuel trésorier, m’ont proposé de reprendre la présidence de l’AFD.

Point Commun.

IDJ : Avant de devenir présidente, dans quel contexte avez-vous rejoint le syndicat et quelles étaient vos motivations ?

SD : J’ai tout d’abord rencontré François Caspar en 2008 lors d’un speed-dating professionnel aux D’DAYS, Le festival du Design. Lors de cet événement, il a présenté l’AFD, l’importance d’un syndicat professionnel pour les designers et la notion d’éthique au sein des marchés publics. Il y a trois ou quatre ans, un client ne m’a pas payée et je ne savais pas comment procéder pour résoudre ce problème. J’ai alors fait appel à l’AFD, car l’une des fonctions principales du syndicat est d’accompagner les designers sur des problématiques juridiques. J’ai ensuite rejoint le conseil d’administration de l’AFD, car j’avais envie d’aider d’autres designers sur ces questions. Au sein du syndicat, je fais notamment partie du groupe de travail autour des marchés publics avec Franck Dubois. En ce moment, nous élaborons avec le Ministère de la Culture des vidéos pédagogiques pour faire connaître à des commanditaires, comme des collectivités territoriales etc., la bonne manière de choisir un designer. Nous travaillons sur cette notion, toujours floue aujourd’hui, d’investissement significatif lorsqu’un designer répond à un appel d’offres dans le cadre d’un marché public. Ce terme n’est pas clairement défini juridiquement. Certains commanditaires profitent de ce flou pour éviter d’indemniser des designers répondant à leurs appels d’offres, alors même que ceux-ci transmettent par exemple des échantillons, des maquettes, des prototypes… Ce qui est un travail substantiel. L’AFD œuvre pour un meilleur encadrement des marchés publics.

IDJ : Dans le cadre de votre présidence, quels sont les projets que vous souhaitez mener ?

SD : J’aimerais tout d’abord rendre visibles les différentes actions de l’AFD et mettre en place des outils fédérant mieux les jeunes designers. Je souhaite aussi développer le volet pédagogique de l’AFD. Je réalise des présentations du syndicat au sein des écoles et je propose des workshops afin d’aider les designers en devenir à se professionnaliser. Mon objectif est aussi de continuer à fédérer l’écosystème du design : les designers, mais aussi les pouvoirs publics. C’est la raison pour laquelle je fais partie avec François Caspar du Conseil National du Design, instance de concertation issue des propositions des Assises du design, présentées aux ministères de la Culture et de l’Économie et des Finances en décembre 2019. Nous travaillons en commission pour mieux comprendre la manière dont le design peut être intégré dans des organisations institutionnelles et la manière dont les ministères peuvent s’emparer des enjeux de société par le design. Je rencontre aussi les acteurs de l’écosystème du design comme la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP), ou encore les directions d’écoles d’art et de design… Je souhaite créer des liens avec d’autres pays, par exemple l’Italie ou encore la Pologne, en organisant des rencontres ou des expositions.

IDJ : Quels liens au niveau européen développez-vous ?

SD : L’AFD fait partie du BEDA, le “Bureau of European Design Associations” liant les professionnels et les associations du secteur du design à l’échelle de l’Europe. Dans ces types d’instances, nous pouvons penser, promouvoir et développer le design à un niveau européen.


IDJ : Pourquoi travailler à l’AFD pour un meilleur encadrement des marchés publics et quelles sont les différentes actions du syndicat sur ce point ?

SD : Les appels d’offres mettent en concurrence les designers et il est important que cela ne soit pas fait pas à leur détriment. Il est nécessaire de mettre en place une forme de pédagogie envers les commanditaires pour que les designers puissent participer sereinement à ce type de marché et voir leur travail reconnu en phase de candidature. Quand on exerce le métier de designer graphique, on aspire souvent à travailler pour des institutions publiques et les marchés publics sont un moyen d’accéder à ces opportunités. Sur le site internet de l’AFD, nous proposons différentes ressources pour les designers, afin de les aider à dialoguer avec des commanditaires. Lorsqu’un designer est face à un appel d’offres aux conditions abusives, il peut télécharger sur notre site un modèle de mail à envoyer au commanditaire, invitant celui-ci à dialoguer avec nous, le syndicat. En tant que designer, j’ai remarqué que se regrouper pour porter des revendications fonctionne.

IDJ : Comment l’AFD accompagne-t-elle les designers sur le plan juridique ?

SD : En tant que syndicat, nous représentons des designers lors de procès. Nous prenons en charge une partie des frais d’avocat. Nous menons aussi un travail d’écoute auprès des designers. Par exemple, nous étions récemment en réunion avec un assureur afin de savoir s’il pouvait prendre en charge un certain montant dans le cadre d’un procès. Nous proposons donc un accompagnement personnel d’écoute, un accompagnement juridique et nous nous attachons à représenter le corps professionnel des designers.

IDJ : Pourquoi un investissement significatif doit-il être indemnisé ?

SD : Être designer graphique, c’est proposer des prestations intellectuelles. Lorsqu’un designer propose des idées, travaille des concepts… c’est un investissement significatif. Les croquis, les idées, des premiers concepts que le designer transmet lors d’une réponse à un appel d’offres, font la différence. C’est à partir de cette deuxième phase de candidature qu’il doit être indemnisé. Au-delà des appels d’offres, l’AFD se bat aussi pour un meilleur encadrement du mécénat de compétences. C’est un dispositif intéressant pour des structures aux objectifs sociaux forts. Mais ce n’est pas le cas des institutions culturelles. Nous élaborons donc avec le Ministère de la Culture des chartes pour encadrer et structurer les marchés de mécénat de compétences.

IDJ : Pourquoi est-ce important de former les jeunes designers à ces questions légales et éthiques ?

SD : À l’École des arts décoratifs de Strasbourg, j’ai été formée à créer. En revanche, à ma sortie d’école, j’ai mis du temps à bien comprendre comment fonctionne l’écosystème du design : le rôle de l’ADAGP, l’émission de facture, la conception de devis… J’ai appris en faisant, mais si les étudiant·es possédaient déjà ces compétences, cela leur permettrait de se concentrer sur la partie la plus importante qui est celle de la création et de la collaboration avec des clients et des prestataires. Lorsque nous connaissons nos droits, nous pouvons les faire appliquer et être dans un dialogue. Il y a pourtant une vraie volonté de la part des pouvoirs publics, des régions, des établissements de promotion du design et des écoles, de vouloir mettre en place des actions pour les futurs designers et d’œuvrer pour la professionnalisation. Le fonctionnement des instances publiques semble souvent assez opaque pour beaucoup de designers. En étant en relation avec celles-ci, l’AFD souhaite ainsi montrer aux jeunes designers que des actions concrètes sont mises en place.

Silvia Dore, présidente de l’AFD et Romain Diant, membre du conseil d’administration du syndicat, lors de Point Commun.

IDJ : Comment comptez-vous développer les liens entre l’AFD et les écoles d’art et de design ?

SD : J’ai rencontré récemment le co-directeur de l’ANdEA – Association nationale des écoles supérieures d’art et l’AFD envisage de collaborer avec celle-ci. Nous créons aussi un partenariat avec le Campus Fonderie de l’Image dans le cadre de la fondation d’un nouveau master liant design et société. Nous envisageons de proposer des modules de formation pour les étudiant·es, mais aussi pour les enseignant·es.

IDJ : Pourquoi rejoindre l’AFD ?

SD : Grâce à l’AFD, un designer peut accéder à des outils de structuration. Il est ainsi aidé dans la compréhension de sa tarification. Rejoindre l’AFD, c’est aussi pouvoir se fédérer, porter une parole collective. Nous, designers, devons faire ce travail de fédération et de dialogue : ce n’est pas les pouvoirs publics et les ministères qui le feront à notre place. Nous avons à l’AFD des places ouvertes dans notre conseil d’administration. Si vous souhaitez porter une action relative aux enjeux du métier de designer, écrivez-moi ! Tous les membres de l’AFD sont bénévoles, cela prend du temps, c’est certain. Mais nous menons des actions concrètes et nous espérons que celles-ci permettent à de jeunes designers de se lancer en indépendant de manière plus sereine.

IDJ : Avez-vous un dernier mot à nous partager ?

SD : Quand je suis arrivée en France, je n’ai pas eu peur de frapper à des portes et d’aller à la rencontre de designers avec qui j’avais envie de travailler. En ce qui concerne l’AFD, c’est la même chose : il ne faut pas hésiter à s’intéresser à nos différentes actions, à venir aux réunions et aux assemblées générales !

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